Les récessions augmentent-elles la peur du déclassement ? .
Entretien avec Eric Maurin, économiste, auteur de La Peur du déclassement, en librairie le 8 octobre 2009.Pour en savoir plus : www.repid.com
On envisage traditionnellement le conformisme comme une contrainte qui ampute l'homme de sa créativité et le met à la merci de la tyrannie politique. Paradoxalement, il est en train de devenir l'un des principes qui fait que la société échappe au politique, et n'est jamais atteigne ni modelé par l'action publique - comme on voudrait qu'elle le soit.
Le conformisme est une condition de survie sociale dans un monde incertain, dont il faut sans cesse redécouvrir les règles.
Dans la mesure du possible, chacun choisis ses amis, ses voisins ou même ses collègues en fonction des règles dont il anticipe qu'elles seront les leurs, des types de conformisme auxquels ils se contrainderont
La France est moins riche que les Etats-Unis, mais le temps y est sans doute mieux partagé et, au bout du compte, peut-être n'y est-on pas plus malheureux.
Le décrochage scolaire précoce conduit la plupart du temps à une longue période de marginalité sociale, mais tout se passe comme si les adolescents ne voulaient ou ne pouvaient pas prendre cette perspective en compte.
Le conformisme social est souvent dénoncé comme ce qui paralyse la créativité des hommes, les fait renoncer à leur intelligence et rend possible leur manipulation à grande échelle. Une passion d'esclave, dirait Nietzsche, pour qui "c'est l'esclave qui cherche à nous persuader d'avoir de lui une bonne opinion; c'est aussi l'esclave qui plie le genou devant ces opinions".
L"influence des pairs ne devient une tyrannie que lorsque les adultes ont renoncé.
Une politique de "peuplement" ne peut pas se substituer à une politique de lutte contre les discriminations.
Les « cordées de la réussite »
Durant deux années consécutives, l’ENS a accepté que soient déterminés de manière aléatoire deux groupes au sein de l’ensemble des élèves éligibles et volontaires, un groupe test et un groupe témoin, seul le groupe test étant finalement admis à bénéficier du programme. La comparaison des trajectoires des élèves des groupes test et témoin a fait l’effet d’une douche froide chez tous ceux qui s’étaient investis dans le projet : tant du point de vue des résultats scolaires (et notamment au baccalauréat) que du point de vue de l’orientation post-bac (et notamment l’accès en classe prépa), on ne décèle aucun effet significatif du programme sur les performances moyennes des élèves bénéficiaires. Il s’agit d’un programme relativement coûteux (un minimum de 1 500 euros par élève et par an). Pourtant, il ne semble modifier en rien les scolarités des élèves bénéficiaires !
Ce type de programme produit sans nul doute des effets bénéfiques, mais il a aussi ses coûts. Participer au groupe de tutorat demande de passer un samedi après-midi sur deux à Paris, et c’est autant d’après-midi que les élèves ne passent pas à se ressourcer ou à préparer les contrôles de la semaine suivante. Souvent, les réunions et les sorties avec le tuteur demandent un travail préparatoire, et c’est de nouveau autant de temps qui, en semaine, n’est pas consacré à des activités plus directement utiles à l’acquisition de connaissances pour le baccalauréat.
Finalement, on ne peut pas exclure que la fréquentation d’étudiants de l’ENS (c’est-à-dire la « crème » de l’enseignement supérieur en France) n’ait persuadé certains des élèves du programme que, décidément, l’enseignement supérieur n’était pas à leur portée, avec un effet de découragement. Ceux-là mêmes qui étaient censés représenter des modèles ont peut-être parfois involontairement joué un rôle d’épouvantail.
A l'orée des années 1960, dans des discours restés célèbres, John Kennedy puis Lyndon Johnson définissaient une nouvelle frontière sociale pour leur pays : au-delà de l'égalité des droits, l'égalité réelle des personnes, l'égalité devant les processus de constitution de soi, devant l'avenir. Il est de bon ton aujourd'hui de déclarer que tout a été dit et tenté en matière de justice sociale. L'examen scrupuleux de la situation française montre qu'il n'en est rien. A bien des égards, nous n'avons jamais réellement pris acte du déchirement intérieur de notre société, ni réellement mis en oeuvre les principes politiques qui permettraient de la rassurer et de la recoudre.
Ces nouvelles classes moyennes se caractérisent par trois traits fondamentaux: leur dynamisme, leur centralité sociale, leur position d'arbitre. Elles sont tenaillées par une anxiété d'où provient paradoxalement leur succès: coincées entre la peur de la chute et le désir d'élévation, elles ont su maintenir leur position tout au long de ces dernières décennies, au terme d'une compétition sans merci pour les statuts professionnels les plus privilégiés, les quartiers de résidence les plus sûrs et les diplômes les plus recherchés. (p.8)