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Critique de michfred


Il y a des recettes qui ne sont pas infaillibles : un joli titre + un style rythmé + un sujet émouvant + une construction élégante...ne font pas nécessairement un bon bouquin.

La mer le matin a toutes ces qualités-là...et pourtant la sauce ne prend pas. Trop d'effets tue les faits. Trop de faits tue l'effet, aussi. Je vais essayer de m'expliquer.

Dans ce court récit aux parallélismes soigneusement étudiés -deux mères, deux fils, deux traversées entre Italie et Libye- la matière prolifère : d'abord, en toile de fond, une fresque historique sur les rapports complexes entre la Libye et l'Italie- quelque peu allusive et brouillonne, j'ai dû recourir à quelques recherches pour remettre tout ces éléments en place!- .
On passe de la colonisation italienne menée par le régime de Mussolini à la décolonisation conquise d'une main de fer par un certain Khadafi. On glisse très vite sur les rapports tendus entre Aldo Moro et Khadafi, puis sur la lune de miel entre Berlusconi et le dictateur . On surfe sur la guerre de déstabilisation et l'exécution du tyran, on effleure l' exode majeur des populations civiles libyennes que nous connaissons aujourd'hui , avec ces sinistres bateaux-poubelles qui larguent leur cargaison de chair humaine au large des îles siciliennes...

Il y avait là la trame d'un roman complexe, approfondi, documenté . Mais chez Mazzantini, c'est seulement une référence historique qui sert à planter - ou à crédibiliser ?- le récit. Ou plutôt LES récits: deux histoires se côtoient, réfléchissant leurs images en de savants jeux de miroir.

La première est sûrement la plus authentique: l'auteure est née ou a vécu en Libye, sa famille c'est un peu celle de Vito..Malheureusement, là encore, qui trop embrasse mal étreint: incapable de limiter la narration à la mère et à son fils, l'auteure se lance dans de larges flash-backs évoquant la famille de Vito sur trois générations...

Last but not least, il y a le deuxième récit: celui qui concerne le petit Farid et sa mère sur une barge pourrie, vers l'Italie. Pourquoi ce troisième fil rouge , dans un récit aussi court? Sans doute pour la recherche d'une structure mais la bipolarité n'a rien d'original: Laurent Gaudé dans son très bel Eldorado et, avant lui, Le Clézio dans le magnétique Désert avaient déjà usé de ces récits parallèles ou croisés sur le même sujet: la colonisation et l'émigration..Il y a sans doute une autre raison.

J'ai bien une réponse mais elle ne va pas plaire à tout le monde et je vais passer pour la méchante empêcheuse de pleurer en rond: j'y flaire une envie pas très saine de "séquence émotion" ( d'ailleurs j'ai moi-même marché: la seule partie du livre où j'ai été vraiment émue était celle du petit Farid et de sa gazelle...).

Bilan: quand on cherche les ingrédients d'un succès littéraire et qu'on fait un livre comme on lance un produit publicitaire avec tête de gondole et coeur de cible, on rate ce qui aurait pu être un beau livre, et on dupe son public , sensible qui, à une histoire familiale, qui, à un conte triste sur notre terrible époque de migrations désespérées, qui, à une page d'Histoire - la colonisation- qui commence seulement à se dire, et bien laborieusement. Le roman devient, dès lors, une auberge espagnole où chacun peut grappiller quelque intérêt mais où rien n'est vraiment travaillé, vraiment abouti.

Pas même le style, souvent poétique, mais artificiellement, comme le reste. C'est joli, bien tourné, mais sans chair. La ponctuation hache la phrase pour donner le halètement de l'émotion. Mais l'émotion est absente, elle est juste très habilement feinte.

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