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Critique de berni_29


J'ouvre la première page de ce livre à la magnifique couverture ciselée comme le bel et mystérieux écrin qui me tente depuis quelques jours. Me voici entrant dans le secret des pages de ce roman, écrit par un certain Michael McDowell, auteur américain contemporain que je découvre ici, me voici dégringolant dans le dédale d'une ville déjà secrète et tentaculaire, sombre et dévorante. New-York, 1882. New-York, New-York, me voici !
J'entre à tâtons, attentif, étonné, inquiet quand même un peu, j'ai l'impression d'avoir soulevé une trappe et d'entrer dans le tréfonds de l'âme cachée d'une ville, New-York underground... Déjà l'image de l'incipit me happe comme une scène cinématographique marquante.
« Par une nuit sombre d'hiver, sept enfants se blottissaient près d'une grille de ventilation sur Mulberry Street. Chacun à leur tour, pendant environ une minute, ils s'asseyaient directement sur la grille en fer pour profiter de la vapeur qui s'échappait de la chaudière des locaux de la police de New-York. »
J'imagine la scène comme si j'étais là devant eux, moi planqué dans un coin de la rue, les observant, eux dans leur crasse si immonde qu'on pourrait presque sentir leur odeur depuis l'endroit où je me terre, moi dans le silence glaçant de la nuit qui m'étreint, eux vêtus de simples haillons informes et répugnants. C'est un quartier sordide et infame de New-York qui s'appelle le Triangle noir.
L'an de grâce 1881 s'apprête à devenir l'an de grâce 1882. Dans la fatalité d'une ville immense et de ses vertiges où tout est peut-être déjà écrit, que peut-il se passer qui vienne bouger l'ordre immuable des choses ? D'un côté c'est l'opulence, de l'autre c'est la misère.
Le Triangle noir concentre dans ses bas-fonds tous les vices de la terre, la survie, la peur aussi... Une certaine Lena, dite Lena la noire, tire les ficelles d'un clan féminin, les Shanks. Son organisation parfaitement huilée, traversant trois générations, est à la fois redoutable et résiliente dans un monde glauque où chaque pas remet en jeu le principe même de vie. À quelques encablures de ce quartier, règne une famille de juges et d'avocats, les Stallworth, famille dirigée d'une main de fer par le patriarche, l'influent et implacable juge James Stallworth... Comme le contrepoint parfait, ici aussi il est question de trois générations...
L'assassinat d'un avocat en plein Triangle noir va donner enfin au juge Stallworth l'occasion de nettoyer l'infâme quartier, déraciner le mal, en éradiquant la lignée corrompue de criminelles qui y sévit : les Shanks. Les intentions des Stallworth sont-elles si nobles que cela ?
Me voici dès les premières pages happé dans un récit haletant, addictif, à la tonalité envoûtante, digne de... Digne de qui ? de quoi ? Je cherche tant bien que mal dans ma mémoire brinquebalante à quelles références littéraires ce récit me fait penser. Émile Zola ? Charles Dickens ? Eugène Sue ? Paul Féval ? Victor Hugo, celui des Misérables ou de la Légende des siècles... ? Edgar Allan Poe ? Henry James ?
Mais je m'aperçois très vite que je fais fausse route sur ces pistes-là, tandis que je m'enfonce à chaque page un peu plus encore dans l'univers sombre et malfaisant du récit. J'en arrive à me prendre d'affection pour ces redoutables lames, Les Aiguilles d'or, aussi redoutables que les mains habiles qui les manient, faiseuses d'anges ou de démons, lancées dans une implacable vengeance digne du Comte de Monte-Cristo. Tiens ! En voilà encore une référence... ! J'en arrive à éprouver une empathie sans filtre pour ce gang de femmes, dans ce duel entre deux familles, mais aussi entre deux classes opposées, où tous les coups sont permis, deux formes de morale pour présenter une certaine vision du monde, celui de New-York en l'an de grâce 1882...
Une vision un peu clanique, manichéenne du monde, peut-être... Voilà, j'en arrive vite à la limite de mes digressions. Si j'ai cité quelques références de littérature classique vers lesquelles me renvoie l'imaginaire de ce récit, c'est bien l'atmosphère qui entoure ces évocations, l'ambiance, le côté visuel, esthétique... Pour le reste, je ne saurai pas bien définir l'endroit où ce récit m'a rejeté, comme une vague sur un rivage lointain, comme rincé de la crasse des personnages, échoué dans le tréfonds des égouts d'une ville démentielle et survoltée de violence, de haine et d'injustice, mais aussi de sororité dans l'épreuve chaotique du monde...
C'est un roman cinématographique qui fait déambuler le lecteur, parcourant des rues, des estaminets, des bouges, des scènes de vie qui saisissent à la gorge, des décors emplis d'étrangeté... J'avais l'image d'une noirceur tout au long du récit.
Malheureusement, cette vision sombre d'un monde qui l'est tout autant n'offre pas sur le plan littéraire ce cher clair-obscur que j'aime tant découvrir en entrant dans les pages de certains romans classiques. Évidemment, je pense ici à ce cher Victor Hugo...
S'il y a beaucoup de personnages dans Les Aiguilles d'or, finalement on les voit peu, on ne les voit pas de si près, je ne les ais pas vus d'assez près...
Michael McDowell nous entraîne dans un roman d'ambiance plus que de caractères, c'est peut-être là le bémol que j'ai envie d'exprimer.
Le ressort narratif qu'il déploie est efficace, rondement mené, mais tout ceci manque cruellement de nuance et de subtilité. Michael McDowell se contente d'effleurer ses personnages, de les mettre en scène en les jetant dans la mécanique inexorable de la fatalité qui les anime, mais sans introspection, à distance d'eux, sans venir au plus près sentir, capter l'émoi d'un visage, le vertige d'un coeur, l'étreinte d'une émotion traversant un regard, le reflet d'un sentiment étouffé dans l'envers des faux-semblants, l'effleurement d'une errance, d'un exil intérieur condamné à se terrer dans la violence comme seul espoir de survivre, tenir debout dans l'effondrement de ce qu'il reste d'humanité...
Finalement, j'ai trouvé que seule la couverture du livre, certes un peu kitsch, était finement ciselée...
Je ressors de cette lecture comme ayant vécu un bon moment de lecture, mais je ne suis pas sûr que dans quelques temps, j'en garderai encore un souvenir inoubliable... Sauf peut-être celui d'avoir accompli cette lecture avec un autre gang tout aussi redoutable mais cette fois d'amitié, celui de mes amis de l'an de grâce 2023, j'ai nommé : Doriane (@Yaena), Nicola (@NicolaK), Xavier (@Aquilon62), Anne-So (@dannso), Patounet (@Patlancien), Hélène (4bis), djdri25 et Altervorace, entraînés dans le sillage de notre amie Sandrine (@HundredDreams) partie en éclaireuse avec sa lampe frontale.
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