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Critique de Crossroads


- Jurgen , wer ist am apparat ?
- Das ist Manfred !
Voilà les seuls souvenirs qu'il me reste de mes studieuses années d'Allemand et allez placer ça dans une conversation vous , coton , coton ! Il en est désormais un autre qui risque de m'habiter beaucoup plus longtemps : La Douleur de Manfred ,

Manfred est vieux . Manfred est seul . Manfred va mourir ( ah oui , le personnage principal s'appelle Manfred mais les plus perspicaces d'entre vous l'auront peut-etre subodoré ; ) . Moralement , Manfred a baissé pavillon depuis pres de 20 ans . A classer entre la chiffe et la serpillére . Physiquement , il subit un calvaire journalier , refusant tout traitement qu'il considere au mieux comme pouvant le maintenir vainement à flot quelque temps , au pire comme capable de lui voler une souffrance qu'il estime n'avoir que trop mérité ! Car ce tourment est sien . Il l'espére , le chérit , le nourrit tel le Gollum avec son précieux . Ce trésor qui lui lacere la chair , lui déchire les entrailles , le tue à petit feu , c'est la juste récompense d'une vie de violence conjugale qu'il offrit à Emma , l'amour de sa vie . Ses minutes sont tourment , ses heures sont remord , ses jours sont pénitence . La honte le ronge un peu plus chaque jour . Il a fait de la contrition sa compagne attitrée , du repentir sa nouvelle philosophie . Il perçoit sa déchéance comme un chatiment expiatoire et l'accepte comme tel . Pourtant , Manfred ne veut pas mourir , il veut juste ne plus vivre,,,

La Douleur de Manfred parut en 2003 sous la plume acérée d'un jeune écrivain Irlandais : Robert McLiam Wilson . Et le moins que l'on puisse dire , c'est que le fonds de l'Eire effraie !
De prime abord , ce personnage attire une sympathie évidente . Petit vieux au crépuscule de sa vie qui ne tend désormais que vers une nuit éternelle . Perclu de douleurs qu'il se refuse à combattre , l'on en vient presque à admirer ce " héros "  qui a choisi de mourir plutot que de devenir l'énieme cobaye d'une industrie pharmaceutique qu'il abhorre . Manfred est touchant . C'est également ce qu'a du se dire , dans un autre registre , sa femme Emma qu'il frappa , brutalisa , tabassa quotidiennement , brisant inlassablement sa chair , son essence et la défigurant un peu plus chaque jour . La séparation fut inévitable et pourtant , cet homme persiste à appeler régulierement au téléphone une femme qui toujours l'écoute sans dire un mot ; une femme qui toujours assiste à leurs rendez-vous mensuels sans lui autoriser un seul regard...Volonté exacerbée de dématerialiser " l'objet " de tant de haine , la cristallisation de tant de violences...
Comment expliquer ce terrible dechainement journalier de fureur ? Couché Adolf !L'absence d'amour d'une mere exclusive , une guerre psychologiquement dévastatrice , une jalousie maladive ou bien encore un terrible secret tu par une épouse enfermée dans son insondable douleur personnelle , fardeau omniprésent d'expériences concentrationnaires inoubliables ? Les raisonnements sont multiples , les pardons inexistants...
Bizarrement , l'on se prend d'affection pour cet homme sursitaire et ce , malgré son effroyable conception maritale . Affection sans doute légitimée par une inéluctabilité sous-jacente . Que dire d'Emma dont la vie n'aura été qu'un cri muet , une inextinguible peine du corps et de l'ame...
Cet Irlandais possede l'art et la maniere de vous emporter malgré la gravité du sujet . Des descriptions puissantes de la décrépitude , de la dégénerescence physique d'un etre qui se sait condamné . du calvaire prégnant de cette femme aimée , adorée malgré tout . L'amour / haine n'est jamais bien loin...L'auteur alterne la déchéance présente avec le douloureux passé d'un type qui a juste raté sa vie , qui n'a jamais su vraiment aimer . Ni sa famille , ni sa femme , ni son fils...
L'écriture est belle et puissante . Elle vous happe méchamment , faisant du lecteur un voyeur et un complice impuissant ne pouvant s'empecher , cependant , de vouloir découvrir l'évolution finale de ces deux tragiques destinées . Manfred est passé à coté de sa vie , comptant alors sur une mort exemplaire qui lui fera un ultime pied de nez....
Alors écoute moi bien petit canaillou de McLiam Wilson , je ne peux dire ou ni quand mais nul doute qu'un jour nous nous retrouverons et je sais à l'avance que la rencontre sera belle . Beeeelle , beeeelle , couché Quasimodo !

La Douleur de Manfred : douloureusement séduisant...
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