Ce livre m'a été envoyé par les Éditions Phébus dans le cadre de l'opération Masse Critique. de Babelio. Je les remercie.
Miarka, c'est le nom que prend Denise Jacob, lorsque elle intègre la Résistance Française en 1943, à l'âge de 19 ans.
Denise Jacob, qui deviendra
Denise Vernay, une héroïne très discrète, bien moins célèbre que son illustre soeur,
Simone Veil.
Cet ouvrage met non seulement en lumière cette femme d'un incroyable courage, comme le furent tant de Françaises et de Français qui se levèrent contre l'ignominie (ne l'oublions pas en ces temps troublés) et qui souvent le payèrent très chers, beaucoup de leur vie.
Mais aussi, et c'est ce qui fait, je trouve, le caractère unique de ce récit, il nous plonge, de façon souvent bouleversante, grâce à tous les documents auxquels l'auteur a pu avoir accès, correspondances, carnets, poèmes, ..., dans l'intimité de la famille Jacob, une famille admirable et exemplaire entre toutes.
L'auteur,
Antoine de Meaux, a rencontré pour la première fois
Denise Vernay en 1996, alors que, dans le cadre de son service militaire, il contribuait à la réalisation d'un CD-ROM intitulé Mémoires de la Déportation, à la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, dont
Denise Vernay était alors la Secrétaire.
Une relation d'amitié va sa nouer jusqu'à la mort de Denise en 2013, ce qui lui permettra d'avoir accès à de nombreux documents familiaux.
On ressent que l'auteur a voulu rendre un vibrant hommage à cette femme discrète, qui n'avait pas su, elle même, si ce n'est dans un petit livre à compte d'auteur, "Une part de moi-même", raconter totalement son histoire.
Le texte est construit en petits chapitres qui, dans un premier temps, alternent plusieurs époques; notamment celle de la rencontre de l'auteur avec
Denise Vernay dans les années 1990 alors qu'il est un tout jeune militaire, celle de l'engagement de Denise dans la résistance lyonnaise en 1943, et celle de la famille Jacob jusqu'à 1943. L'alternance de ces "séquences" ne facilite pas la lecture, et j'ai eu un peu de mal avec cette première partie. J'ai lu que l'auteur a écrit de nombreux documentaires dont plusieurs épisodes de "Secrets d'Histoire", ce qui explique sans doute son goût pour ce genre de construction fragmentée, qui n'est pas le mien.
Puis le récit devient linéaire à partir de l'arrestation de Denise le 18 juin 1944, et l'on y suit la brutalité des interrogatoires, le supplice de la baignoire auquel Denise, avec une incroyable force, résistera, puis le transfert dans le camp de concentration de Ravensbrück, dont l'auteur nous dépeint l'horreur quotidienne, souvent insoutenable, et la capacité de lutter de toutes les femmes. Puis le transfert au camp de Mathausen, la sortie du camp grâce à une médiation de la Croix-Rouge, le retour en France, et les joies et les souffrances du retour.
Le récit de la vie de Denise après la guerre et jusqu'à sa mort en 2013, nous montre, par delà les évènements d'une vie redevenue presque "ordinaire", mariage, enfants,..travail auprès de
Germaine Tillion à l'Ecole Pratique des Hautes études, engagement dans les Organisations Mémorielles, ADIR, FMD, sa discrétion et sa difficulté à partager ce qu'elle a vécu, son expérience de résistante comme celle de déportée.
Et pourtant...comment ne pas être émerveillé par le parcours de cette jeune femme, qui décide, à 19 ans, de "se lever" de "se tenir debout", pour s'engager, avec énergie, dans le réseau Francs-Tireurs, et devenir agent de liaison avec un incroyable courage et tant de sang-froid. Cette
Miarka qui va parcourir Lyon puis la Haute-Savoie par tous les temps, qui va vivre dans des conditions précaires, et qui va accomplir enfin, en remplacement d'une résistante indisponible, un périple à bicyclette de 250km pour récupérer deux émetteurs radios, ce qui conduira à son arrestation. Je sais que certains s'interrogent sur ce qu'avait réellement fait
Jeanne d'Arc, comme s'il n'était pas possible qu'une jeune femme décide, toute seule, de s'engager pour sauver son pays. Mais alors, ne voient-ils pas que ce fut possible il n'y a pas si longtemps, qu'il y en eut des
Jeanne d'Arc qui se levèrent pour l'honneur de la France, et que
Denise Vernay fut l'une d'elles.
Je voudrais terminer cette critique en revenant sur ce qui m'a touché le plus dans ce livre. Si les récits sur la Résistance et sur la Déportation sont nombreux, je trouve que celui-ci, qui rend hommage au parcours de la résistante Denise Jacob alias
Miarka, nous fait aussi mieux comprendre cette extraordinaire famille Jacob, et cela grâce aux multiples extraits de lettres, carnet de notes, citations de livres, poèmes....
Une famille juive mais dont le père André, comme la mère Yvonne sont résolument agnostiques, et dont l'idéal est avant tout humaniste, patriotique et républicain.
Ce livre nous révèle des parents dont la dignité, la hauteur morale, l'éthique, la noblesse d'âme sont exceptionnels, et dont on sent encore mieux toute l'influence qu'ils ont eu sur
Simone Veil. Il m'a aussi permis notamment de mieux cerner la personnalité du père, André, certes un homme rigoureux et à principes, mais aussi lucide sur les êtres humains et refusant la compromission.
Et puis, l'incroyable tendresse, l'affection, qui règne entre les membres de cette famille. Il faut lire tous ces extraits de lettres entre Yvonne et ses filles, ou son fils, entre les soeurs, et aussi la dernière lettre bouleversante d'André à sa fille Denise, lettre remplie de réflexions profondes et de conseils en matière de lectures, pour réaliser à quel point cette famille qui fut brisée par un destin monstrueux, était si unie et si attentionnée pour les autres. le seul qui est en retrait, c'est Jean, le frère, passionné de photographie et qui était souvent derrière l'objectif pour prendre en photo sa famille.
Et ces écrits révèlent aussi la diversité des personnalités des trois soeurs, Madeleine dite Milou ou Milche, être de douceur et de bonté, une sorte de religieuse laïque, Simone, dont on ressent déjà la force, la détermination, la pugnacité, et enfin Denise, dont les lettres adressées à ses soeurs à Nice ont disparu, mais dont on découvre la sensibilité au travers de ses textes et notamment de ses beaux poèmes qui parsèment le récit.
Et enfin, il y a l'importance capitale de la culture littéraire dans la famille Jacob, l'appétit de romans et de recueils de poésie sur lesquels les jeunes soeurs s'échangent leurs impressions en terminant leurs correspondances. Oui, cela nous rappelle le rôle de la culture, la lecture, l'éducation, le savoir éclairé, l'esprit critique, mais aussi l'empathie, l'écoute de l'autre, la solidarité pour faire rempart à l'obscurantisme, au populisme, à la haine de l'autre véhiculée par les réseaux sociaux.
Résister, rester debout, ne pas se courber devant l'ennemi, ne pas renier ses valeurs essentielles, cela fait sens encore aujourd'hui, ne trouvez-vous pas?
Car, et je cite ici
Germaine Tillion, aussi déportée à Ravensbrück et avec laquelle
Denise Vernay a longtemps travaillé:
" Au terme de mon parcours, je me rends compte combien l'homme est fragile et malléable. Rien n'est jamais acquis. Notre devoir de vigilance doit être absolu. le mal peut revenir à tout moment, il couve partout et nous devons agir au moment où il est encore temps d'empêcher le pire".