Kenza, orpheline élevée par ses grands parents au sein d'une famille riche et reconnue de Casablanca, et Fatiha, la fille de la bonne, grandissent comme deux soeurs, partageant la même chambre et les mêmes jeux. Mais arrivées à l'adolescence, leurs destins se séparent peu à peu sous l'influence de leurs mondes respectifs. Dans un Maroc gangrené par le poids des traditions et d'un système politique corrompu, où la femme est si peu de choses, chacune essaiera de trouver sa place, chacune à sa manière sera confrontée à des épreuves pour essayer de vivre libre.
Coup de coeur absolu pour
La poule et son cumin, roman d'une jeune autrice marocaine vivant maintenant en France. J'ai lu ce roman en une soirée, impossible de le lâcher une fois commencé. Pour un premier roman, l'autrice maîtrise totalement son sujet, son récit et l'art de nous faire partager les sentiments de ses personnages. Tout commence assez classiquement, dans un monde relativement protégé derrière les grilles de la belle propriété des grands parents de Kenza avec ces 2 gamines qui ne viennent pas du même monde mais sont malgré tout amies dans toute l'innocence de l'enfance. On pressent que cette innocence sera vite balayée et le roman ne nous donne pas tort sur ce point, l'adolescence arrive et dans un pays aussi inégalitaire, attaché aux traditions et corrompu que le Maroc, il est impensable qu'une fille de bonne puisse avoir le même destin qu'une fille aisée de la bonne bourgeoisie locale. Mais là où l'autrice donne une dimension beaucoup plus universelle à son roman c'est qu'elle entrelace le destin (forcément sombre) de Fatiha avec celui de Kenza. Kenza, la gamine privilégiée, la francophile, la cultivée, celle qui a été nourrie par ses grands parents de littérature, de chanson française comme de rythmes marocains, Kenza qui vient d'une famille reconnue (descendants directs de Mahomet) et dont le grand père a pourtant été écarté du jour au lendemain du pouvoir par le roi, Kenza qui comme tous les jeunes issus de la bourgeoisie locale va partir étudier dans les meilleures écoles françaises (Science Po pour elle).
En France, Kenza découvrira la vie réelle que mènent ces Marocains pauvres immigrés si fiers de rentrer au pays chaque été. Elle découvrira aussi que loin de son pays natale les classes sociales locales ne s'appliquent plus : pour certains français elle est juste "une Arabe", une pas d'ici, une immigrée de plus. Mais en France Kenza découvrira surtout qu'on peut vivre autrement, qu'une femme peut être libre et mener la vie de son choix, loin des conventions, des carcans sociaux et religieux qu'on lui imposait jusqu'ici. Et puis son rêve s'écroulera, comme ceux avant elle de Fatiha, deux jeunes femmes, c'est à dire pas grand chose dans ce pays patriarcal où les pères, les frères, les maris décideront toujours de leur vie avant elles.
En peu de pages et un récit toujours fluide dans une langue magnifique,
Zineb Mekouar nous dit plus sur le Maroc et sa relation complexe avec la France que bien des essais sur ce pays, sur l'immigration ou sur le racisme.
La poule et son cumin ce sont de nombreuses scènes totalement bouleversantes, on ressent l'injustice, on ne peut être que totalement révolté face au sort réservé à ces jeunes femmes que ce soit d'ailleurs par le Maroc ou par la France. L'autrice ne cherche pas la polémique, ne se lance pas dans de grandes analyses, elle se contente de décrire une société, deux pays la France et le Maroc dont les destins ont été liés pour le meilleur et pour le pire. Malgré la noirceur de certains passages, c'est un livre qui nous offre aussi de beaux moments de poésie, qui nous donne le goût d'un pays, de ses paysages, de son histoire si riche, je connaissais très peu le Maroc et j'ai terminé ce roman en rêvant de le découvrir malgré toutes ses contradictions. Et puis surtout La poule et le cumin ce sont de magnifiques portraits de femmes : Maminou, la grand mère de Kenza qui l'a élevée, une femme exceptionnelle malgré les contraintes encore plus rudes qu'imposait la société de son époque, Fatiha qui affronte courageusement et avec fatalisme son destin et Kenza, la solaire Kenza, cette jeune femme libre qui ne cesse de lutter et qui semble représenter l'avenir du Maroc.
Grand, énorme coup de coeur pour ce roman magnifiquement intelligent et humain qui démonte un à un tous les clichés pour nous faire partager une petite tranche de vies de personnages qu'on aimerait serrer dans nos bras. A découvrir, à faire découvrir, à partager, j'aimerais tant qu'il ait le succès qu'il mérite !