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Critique de EvlyneLeraut


Écoutez voir Tamta Mélachvili ! L'éminente littérature !
Posséder ce livre, c'est comme se voir offrir une corbeille de mûres sucrées et juteuses.
Splendide, magnétique, « Merle, merle, mûre » est le fronton d'une histoire belle et triste.
D'une élégance rare, c'est le portrait sensible et sublime d'Étéri qu'on aime d'emblée de toutes nos forces.
Solitaire, célibataire, elle cueille des mûres sauvages comme un rite.
« Et savez-vous ce qui m'a sauvée l'hiver dernier, ce qui m'a permis de survivre ? Ma confiture de mûres ! Non, vraiment, je dois avouer que cette confiture de mûres était la seule raison pour laquelle j'arrivais à me lever le matin, cette confiture et du pain tout chaud…. Voilà, lorsque j'aurai traverser le pont, les mûres commenceront à luire dans les fourrés de ronces ».
Dans cette aube auréolée de silence, elle cueille les mûres. Rite pavlovien , « je cueillerai les mûres avant elles ». Mais le seau sombre dans le fleuve Rioni. Elle perd l'équilibre et manque de se noyer. Elle ressent un déclic en plein coeur. Sa vulnérabilité mise à nue.
« Bon, enfin, me voilà déjà chez moi, mais pourquoi mes jambes tremblent-elles ainsi ? .
Étéri reprend des forces. Elle va bousculer son quotidien réglé comme une pendule. Seule trop longtemps, son père et son frère décédés, elle qui a depuis ses plus jeunes années été domestique dans la maisonnée comble d'hommes. Bien plus tard, elle achètera une petite parfumerie. Entre les savonnettes, les lessives, les clientes, comme des courtes visites. Elle retient tout. Elle est de mimétisme. Elle se fond dans le décor de ce village géorgien. Mais voilà, le risque de mourir, a bousculé ses jours. Elle pressent en elle, cette foudre qui la blesse. Elle remarque le spartiate de sa vie. Elle a faim d'amour et soif de désir. Elle veut s'éveiller. Elle sait l'urgence de l'heure. L'aube de ses cinquante ans est une robe sombre, laide et frustrante. Étéri va saisir l'opportunité de ses fragilités. En faire une force implacable et assouvir à grandes enjambées ce qui lui a toujours manqué : l'accolade d'un homme. « … Je le regarde, à genoux devant moi. Il me fait penser à un oiseau, à un oiseau de proie, mais un bon oiseau, gentil, serein. Je sens son odeur malgré la puanteur que dégage la lessive en poudre, l'odeur de son après-rasage, l'odeur de sa peau. Je sens l'odeur d'un être humain , d'un homme ! ». Elle est dans cette supériorité de clairvoyance. Elle ose le printemps. Se laisse apprivoiser par le livreur de lessives. L'émancipation comme une étoile de mer sur son coeur. Elle s'éveille à la cartographie de son corps. Désirable, malgré ses vieux habits et sa disgrâce brouillée par le manque d'une gestuelle masculine. Elle perce au grand jour l'abcès des silences. Les habitudes chamboulées, qu'importe si le lait déborde. Elle cache tout aux voisins qui épient ses faits et gestes. Elle met en sourdine cette mélopée viscérale qui fait rougir ses lèvres et briller ses yeux. Elle est l'écho entendu, enfin. Elle retient dans ses mains, cette relation adultère, avec ce livreur de cinquante ans et plus, grand-père aux cheveux blancs, un peu maladroit et fou amoureux d'Étéri.
Somptueux, grandiose, émouvant, l'idiosyncrasie géorgienne dévoile ses secrets. Les habitus, les coutumes, les petites manies, les faux-semblants. L'ère d'un conformisme où pas un faux-pli n'est visible. Nous sommes dans le charme de l'innocence, un couple qui se découvre dans les rebords d'une Géorgie empreinte de quand dira-t-on et de commérages. Étéri va être de panache et de romantisme. Sa vertu existentielle, elle va vivre une passion absolue.
« Je ne t'emmène pas n'importe où, tu sais ? Ses yeux verts brillent de plus en plus. -Je veux te montrer un endroit magique, magnifique, un endroit où il n'y a personne ! Je vais te montrer le Vardzia de l'Iméréthie ! ».
« Merle, merle, mûre » est une épopée gracieuse, sentimentale. Innovante car intuitive. Sa fulgurance est pudique. Stylistiquement brillant, nous sommes dans l'orée d'un féminisme qui se révèle au monde. le portrait d'une femme-merle, avec ses petites manies qui sont autant de tartines de confiture de mûres. C'est l'envol d'une relation crépusculaire avec l'ombre des passions rimbaldiennes. La poésie de la révélation amoureuse. La noblesse du commencement dans cette gloire des premiers pas. L'initiation à la féminité. le canevas d'Étéri qui découvre sa polyphonie intérieure. le chant du merle.
Ce touchant livre boréal, a fait l'objet d'un film par la réalisatrice Elene Naveriani, (Quinzaine des Cinéastes au Festival de Cannes). L'émancipation au garde à vous.
Traduit du géorgien par Alexander Bainbridge & Khatouna Kapanadzé. Publié par les majeures Tropismes éditions.
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