AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ATOS


Le sujet central du roman de Pascal Mercier traduit de l'allemand par Nicole Casanova, « Train de nuit pour Lisbonne », est : la Perception.
La perception que nous avons de l'Autre, du monde qui nous entoure, de nous mêmes, de notre vie, et de ce fait, de son sens,
Le professeur Gregorius, vieux professeur des langues anciennes, a vécu toute sa vie à travers les textes anciens ( grecs, latins, hébreux,). Il définissait et percevait la vie à travers ce prisme de parchemins.
Du jour au lendemain, la vie, qu'il ne percevait pas, se charge de se rappeler à son bon souvenir, en lui déposant entre les mains un livre «  Un orfèvre des mots » d'un auteur portugais, jusqu'alors inconnu. Pour lui, les premières lignes de ce livre prendront valeur de signal.
Il part ainsi en quête de la mémoire de ce poète portugais Amadeu de Prado, ancien enfant prodige, médecin, «  prêtre sans Dieu », mort depuis plusieurs années.
Il ne connaît rien de cet homme, ne connaît rien de sa vie, de sa langue, de son passé, seuls les mots contenus dans un livre le poussent à aller à sa rencontre.
A travers la mémoire d'un homme, dont il recomposera méticuleusement la vie, à travers les témoignages de ceux qui auront traversé sa vie, les lieux de sa mémoire, ses écrits, il comprendra la perception d'Amadeu, son intelligence, et c'est par cette quête qu'il va lui même, peu à peu percevoir le monde et ceux qui l'entourent.
Lui, le professeur érudit et si sagement rangé dans les rayons de cette bibliothèque dont il armait sa vie, va comprendre toute la complexité des êtres, leur densité, leur profondeur, leur multitude intérieure :
« Chacun de nous est plusieurs à soi tout seul, est nombreux, est une prolifération de soi-mêmes. C'est pourquoi l'être qui dédaigne l'air ambiant n'est pas le même que celui qui le savoure ou qui en souffre. Il y a des gens d'espèces bien différentes dans la vaste colonie de notre être, qui pensent et sentent différemment -Fernando Pessoa, Livro do desessossego. »
Il va réaliser tout simplement le monde qu'il perçoit.
La vérité se trouve en chacun de nous, et il est vain de vouloir éperdument la découvrir chez l'Autre. Là n'est pas le but d'une vie. Vivre parmi les autres, pas à travers les autres. Vivre en soi et non pour soi.
«  toute activité humaine n'est que l'expression hautement imparfaite et même ridiculement maladroite d'une vie intérieure cachée, à la profondeur insoupçonnée, qui tend vers la surface sans pouvoir jamais l'atteindre fût-ce même de très loin. »
« Les paroles sont elles encore l'expression de nos pensées ? »
Pouvons nous atteindre l'Autre par nos mots, devons nous au moins tenter d'y parvenir ? Et que retiendra l'Autre de tout ce que nous tentons de lui adresser. Qu'en percevra t il exactement ? Comment être certain que notre perception soit identique à celle de l'Autre ?
« On ne voit pas des êtres humains comme des maisons, des arbres et des étoiles. On les voit dans l'attente de pouvoir d'une certaine manière les rencontrer et ainsi les intégrer à son propre univers intérieur. L'imagination les rectifie pour les adapter à nos propres souhaits et espoirs, mais aussi pour qu'ils puissent confirmer nos propres peurs et préjugés..Nous ne parvenons même pas jusqu'aux contours extérieurs de l 'autre. »
Quel peut être la raison de cette difficulté , de l'existence ce doute perpétuel que chacun connaît ?.
« Que se passerait il si nous nous affrontions sans la double réfraction que représente le corps interprété. Si sans rien entre nous qui divisât et falsifiât, nous nous précipitions pour ainsi dire les uns dans les autres ? ». Qu'arriverait il ?
Ce que nous voyons, percevons, est ce la Réalité ou est ce uniquement la projection de ce que nous créons  en nous même?
« Tout ce que nous voyons du monde extérieur comporte aussi une partie de notre monde intérieur. » 
« L'idéal fanatique de la connaissance » poussait de Prado a continuellement remettre en question son image, l'image de l'Autre, l'image du monde qui l'entourait. Ce questionnement, chaque jour plus puissant, chaque jour de plus en plus exigeant le mena au bout de ce qu'il pouvait percevoir de l'Autre, et donc de lui même. La limite, la limite avant le probable basculement vers l'autre côté du miroir.
«  elle n'est tout simplement pas possible, la franchise illimitée, dit jorge quand ils se serrerent la main dans la rue.Elle dépasse nos forces. Solitude par obligation de se taire, cela aussi existe. »
« Sur mille expériences que nous faisons, nous tout au plus une par le langage. Parmi toutes ces expériences muettes sont cachées celles qui donnent secrètement à notre vie sa forme, sa couleur et sa mélodie. »
Cette limite qui l'aura mené au bord de cet abîme existentiel, lui fera perdre l'usage du verbe, lui fera perdre parole.
« Au commencement était le verbe et le verbe était avec Dieu.Il étaient au commencement avec Dieu.Tout fut par lui et sans lui rien ne fut.De tout être il était la vie et la vie était la lumière des hommes. (Taduction de l'Ecole Biblique de Jérusalem ). »
De Prado aura perdu la lumière avant que ne vienne la nuit. Gregorius reviendra vers la lumière, « L'orfèvre des mots » lui aura permis d'en apprendre l'usage.
Le mot "zakhar" en hébreu signifie l'homme et "zekher" signifie la mémoire.
« En mettant en lumière le passé, la mémoire construit le présent. » ( le rabbin Nachum Braverman ).

Astrid SHRIQUI GARAIN
Commenter  J’apprécie          140



Ont apprécié cette critique (7)voir plus




{* *}