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Critique de viou1108_aka_voyagesaufildespages


Enfant, Rudolf Lang est soumis à une discipline de fer par son père, autoritaire et ultra-dirigiste, issu d'une lignée d'officiers de l'armée allemande. La vie de la famille est réglée à la seconde près, sans le moindre temps mort dans lequel pourrait se glisser la tentation de bayer aux corneilles. Le père, chrétien obsessionnel, est convaincu, pour se faire pardonner un péché minime remontant à 20 ans, de devoir endosser les moindres fautes de sa famille, et de vouer son fils aîné à la prêtrise. Rudolf grandit dans une atmosphère pesante, psycho-rigide et culpabilisante, sans savoir que la chaleur humaine existe, de même que le bonheur, l'amour ou l'amitié. Il ne le saura jamais. Son père lui apprend que le Bien consiste à Obéir, envers et contre tout, à ses parents, au curé, au maître d'école, et que le Mal est incarné par un Diable grimaçant qui promet les tourments de l'enfer à la moindre incartade.
Rudolf voue une haine froide et inavouée à son père et à la religion, et les rejettera en bloc à la mort du père. Agé d'à peine 12-13 ans, habitué à une vie réglée, cadrée, sans surprises ni responsabilités, donc confortable et sécurisante, il se cherche un père de substitution. Ce sera la Mère Patrie, et la carrière militaire, entrant dans les Corps Francs et dans la 1ère guerre mondiale à 16 ans. Puis viendront la SA et la SS, pour finalement atteindre le « sommet » en devenant commandant du camp d'extermination d'Auschwitz. Camp qu'il contribuera largement à développer, sa créativité et son talent pour l'organisation ne connaissant pas de limites pour mettre sur pied l'usine de mort la plus performante de l'Histoire. Le tout sans le moindre état d'âme, le moindre sentiment, hormis le sens du devoir et de l'honneur (si on admet qu'honneur égale obéissance).
Rudolf Lang est en réalité Rudolf Hoess, commandant d'Auschwitz, et le « roman » de R. Merle n'est donc pas une fiction. Ce qui ne le rend pas moins captivant, au contraire. En effet, observer et essayer de comprendre (entendons-nous : comprendre n'est pas justifier, et encore moins admettre) pourquoi et comment un être humain en arrive à devenir une sorte d'automate « dé-conscientisé » au service d'une « cause » épouvantable, a quelque chose de fascinant, comme le fonctionnement du cerveau humain. L'hypothèse de Merle semble être que les « racines du mal » se trouvent dans une enfance quasi déshumanisée. L'endoctrinement par le père puis l'armée et la propagande nazie sont aussi largement coupables. Dans la logique de Rudolf, logique militaire avant d'être nazie me semble-t-il, son comportement est parfaitement légitime, il se contente d'exécuter en bon soldat les ordres reçus, et considère qu'il n'a tout simplement pas à s'interroger sur leur bien-fondé, leur moralité, leur motivation sous-jacente. Sans pour autant renier la responsabilité de ses actes : c'est bien lui qui les a accomplis, simplement parce qu'il devait obéir. C'est criant à la fin du livre quand il apprend le suicide de Himmler, arrêté par les Alliés : « il s'est défilé », il ne veut pas assumer. Se pose alors l'autre question, effarante : Lang/Hoess avait-il conscience de tuer des êtres humains (même si les nazis considéraient les Juifs comme des sous-hommes…), de participer à un génocide ? Je suppose qu'il avait surtout conscience de devoir servir la grande Allemagne pour instaurer le fameux « Reich de 1000 ans ». Cela ne justifie rien, n'excuse rien, et cela mérite des thèses de doctorat. Ca ne m'a pas empêchée d'apprécier ce livre, très bien écrit, malgré un contenu glaçant. Tout comme il est glaçant de voir que l'Histoire a depuis lors repassé les plats de la barbarie…
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