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Critique de bgbg


Le fils, par Philpp Meyer. Ce livre est construit en plusieurs tableaux qui s'étalent dans le temps sur cent cinquante ans, l'espace étant au contraire limité au Texas, région mexicaine, puis état indépendant (éphémère), enfin rattaché aux États-Unis d'Amérique depuis 1845. Cette fresque ambitieuse embrasse un morceau du grand roman américain, une part du mythe de la conquête de l'Ouest sans craindre d'en déconstruire la légende. L'auteur écrit un livre extrêmement documenté sur la guerre américano-mexicaine et la colonisation du Texas, sur son évolution, agricole puis pétrolière, sur les liens conflictuels et souvent d'une extrême violence entre Yankees, Mexicains et Indiens, enfin sur la vie des Comanches. On découvre que ceux-ci possédaient une véritable culture, manifeste dans leur langue, leurs coutumes, leurs rapports avec la nature et les animaux, les relations hiérarchiques entre les hommes, avec les femmes et les enfants, leurs savoir-faire, rudimentaire ou élaboré : chasse des bisons, travail des peaux, confection et utilisation des arcs et des flèches, etc.
Mais ce roman est surtout le récit d'une dynastie, les McCullough, dont l'ancêtre, Éli, homme du XIXe siècle, plus à l'aise à cheval que comme père de famille, a subi un apprentissage chez des Indiens, puis fut un confédéré esclavagiste pendant la guerre de Sécession où il devint le ”Colonel”. Né en 1836, c'est un adolescent quand les Comanches effectuent un raid sur leur maison en l'absence du père, violent et tuent sa mère et sa soeur, et l'emmènent ainsi que son frère dans leur village. Il y séjournera trois ans, d'abord esclave puis guerrier reconnu.
Peter est son fils, c'est un fermier, un éleveur de bétail, frileux vis-à-vis de l'industrialisation et de l'engouement pour le pétrole, à l'aise dans la réflexion, l'introspection, la recherche de la justice. Lucide et tourmenté, véritable conscience morale de la famille et du roman, cet intellectuel prend fait et cause pour les Mexicains, qui méprisent le supposé faible qu'il serait, alors qu'ils vénèrent le ”Colonel”, impitoyable promoteur de l'assassinat d'une famille voisine.
Jeanne-Anne est la petite fille de Peter, c'est elle qui prend en mains l'empire agricole et industriel - bâti sur le pétrole dont regorgeait le Texas - c'est une femme moderne qui se questionne, qui a du mal à s'imposer en tant que femme, mais qui agit. Ces trois personnages prennent la parole ou sont au centre des chapitres successifs, donnant un rythme particulier, non chronologique, à l'ouvrage.
Les éléments fondateurs du récit sont le raid des Comanches chez les McCullough en 1849, d'une extrême violence, l'initiation d'Éli McCullough chez les Indiens, l'assassinat sauvage de la famille Garcia par Éli et ses proches en 1915, la passion dévorante du ”Fils” - Peter - pour la belle Maria Garcia, enfin, en 2012, l'incendie de la maison McCullough en apothéose finale et comme une sanction perpétrée à distance, un siècle plus tard, par le ”Fils”.
Ce livre fourmille de sujets de réflexion, le thème central étant la légitimité de ce que l'on possède : à qui doivent revenir ces terres, pour lesquelles on s'est souvent battus à mort ? Aux Yankees qui ont délogé les Indiens ? Mais les différentes tribus n'ont jamais cessé de se chasser les unes les autres lors de guerres tribales infinies. Et il fallut aussi exproprier les Mexicains qui avaient possédé le Texas il y a plus de 170 ans, et y restaient très présents. Autre sujet, la déconstruction du mythe de la conquête de l'Ouest repose sur les exactions réciproques des Anglo-Saxons, des Indiens et des Mexicains : en effet, les vols de bétail, d'armes, de terres, les rapts, les assassinats d'hommes, de femmes, d'enfants, les viols se sont déroulés chez les uns comme les chez les autres. En termes de violences personne n'est innocent, les Yankees toutefois moins que les autres. La destruction de l'environnement est un autre thème du roman : les prairies fertiles se déplacent toujours plus loin, les derricks ont remplacé les pâturages, les bisons se font rares. Les premières victimes en sont les Indiens, qui trouvaient leur subsistance dans la nature.
Ce livre, un peu long, a un intérêt manifeste, roman documenté sans être un documentaire, épopée historique ambitieuse, mythe américain affirmé avec toutefois un brin d'esprit critique permettant de le renouveler, saga familiale qui ne manque pas de souffle, à défaut peut-être de finesse quand il s'agit de sonder les âmes. Aujourd'hui, il reste certainement quelque chose de cette Amérique de pionniers. Mais quoi ?

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