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Critique de marilyseleroux


Si vous ne savez dire non, lisez ce livre d'Henri Michaux, le champion du non toutes catégories, vous serez vacciné. Et vous aurez à disposition un lot fourni de formules aussi fermes que définitives (et cependant courtoises) propres à décourager les importuns qui s'aviseraient de promouvoir votre oeuvre.

On savait Henri Michaux très indépendant, pour ne pas dire atypique, le choix des 91 lettres qui composent cet ouvrage est fidèle à son image de rebelle irréductible porté sur le secret et l'isolement. HM, c'est ainsi qu'il parle de lui, ne cesse d'aligner et de souligner un NON résolu à tout ce qui lui est demandé : retours en arrière jugés « insupportables », entretiens, photos, biographies, revues, anthologies, rééditions, spécialement en collections de poche ( « Il y a déjà deux mille imbéciles qui me lisent pourquoi y en aurait-il vingt mille ? »), récitals, émissions radiophoniques ou télévisuelles, thèses et autres mémoires, colloques, conférences, illustrations, prix littéraires, cénacles ou académies, en un mot tout ce qui pour lui constitue « le carnaval médiatique » qui entoure une oeuvre. Une petite exception (on appréciera l'humour) pour certaines traductions : « Il ne faut pas que le oui soit tout à fait oublié non plus. » Il ira même jusqu'à refuser sa panthéonisation dans la Pléiade, c'est dire ! Ainsi qu'un prix d'une valeur de plus de 50 000 euros actuels alors qu'il déclarait « un revenu fort modeste ». Il affiche la même intransigeance pour son oeuvre picturale, qu'il traite de « petits mimodrames », ou pour la belgitude dans laquelle certains inconscients voudraient l'enfermer. Fichue notoriété ! Devant l'afflux des sollicitations, comment trouver une secrétaire qui sache « de quarante à cinquante façons écrire non » ?

Une philosophie du non

Ce n'est chez Michaux ni une fausse modestie ni une coquetterie de star. L'écrivain fuit tout enfermement, tout carcan qui fige les choses. Il craint sans cesse d'être étouffé, embrigadé dans un système. Ni « honneurs publics, ni largesses pécuniaires », il désire farouchement se tenir éloigné de toute gloire médiatique, de toute consécration officielle. Il envisage son oeuvre comme un parcours, un mouvement, lui, HM, « passant au travers », et donc n'éprouve que dégoût pour toute forme de reconnaissance, de distinction sclérosante : « elle ferait de moi définitivement un professionnel au lieu de l'amateur que je préfère être et demeurer. » Son oeuvre de silence et de recueillement se suffit à elle-même, voyage dans « l'espace du dedans » et non soumission à un tourbillon extérieur aussi vain que délétère. « La distance est nécessaire à mes écrits », affirme-t-il. Si on n'accepte pas son choix, c'est qu'on ne comprend pas son oeuvre.
On ne s'ennuie pas un seul instant à lire cette litanie de refus tant les lettres sont savoureuses et drôles. On s'amuse de la constance des demandes, de la persévérance des solliciteurs et de l'invariabilité des réponses. Les admirateurs en sont pour leurs frais, quels que soient leurs noms, leurs états de service ou recommandations. Les mots de Michaux sont forts, inlassablement répétés, parfois cinglants. À l'issue de l'ouvrage, on reste admiratif devant une telle exigence qui ne sut déroger à ses principes. « Je signe mes écrits. Je ne peux signer ce que d'autres ont rédigé. Je ne peux rédiger des écrits que d'autres avec moi signeraient. » Dont acte.
On serait cependant en droit de se demander d'où Michaux tenait cette obsession intraitable de l'effacement alors qu'à certains moments on le voit s'inquiéter de la parution de ses livres, du non-paiement de ses droits d'auteur pour un texte interprété en public sans son accord. Lui qui haïssait toute « vedettomanie », qui répugnait « à l'étalage », au « tapage », que dirait-il de notre époque où le poète doit se faire marchand, bateleur, histrion pour diffuser ses livres et se faire un nom dans un milieu si foisonnant ? Que penserait-il de sa cote sur le marché de l'art ? de tous ces commentaires de commentaires qui envahissent nos papiers, nos écrans ?
A l'instar de la lettre pirouette rédigée en autodérision par Outers à la fin de l'ouvrage, que HM nous permette avec cette présente glose un pied-de-nez aussi paradoxal qu'enthousiaste.
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