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Critique de batlamb


Partant à la rencontre des civilisations asiatiques des années 1930, Henri Michaux nous délivre ses impressions de voyage sous la forme de jugements si tranchés qu'ils semblent avoir été découpés avec un poignard malais : une violence que reflète bien le titre du livre. Ainsi, non sans une bonne dose de cynisme, Michaux décortique tous les signes qui s'offrent à lui (parole, alphabet, coutumes, art...), et n'hésite pas à les dénoncer quand ils ne renvoient à rien, à ses yeux. Exemple avec le théâtre japonais :

"Aucun acteur au monde n'est aussi braillard que le Japonais avec un
résultat aussi maigre. Il ne dit pas sa langue, il la miaule, et
brame, barrit, brait, hennit, gesticule comme un possédé et malgré ça,
je ne le crois pas. "

Le ton sec et sentencieux de Michaux peut s'avérer désagréable, notamment lorsqu'il s'enferme dans des certitudes peu convaincantes pour un lecteur d'aujourd'hui (par exemple, ses prédictions de révolutions en Inde)... Des certitudes qu'il aura le bon goût de remettre en cause plus tard, comme le montrent les notes de son « moi futur » des années 50 et 80, qui parsèment cet ouvrage. Toutefois, dans ce livre, la civilisation dont les idoles sont le plus mises à mal n'est peut-être pas celle que l'on croit, comme le suggère cette mémorable invective :

« Y aura t-il encore une guerre ? Regardez-vous Européens,
regardez-vous. Rien n'est paisible dans votre expression. Tout y est
lutte, désir, avidité. Même la paix, vous la voulez violemment. »

Au moins, notre barbare sait d'où il vient.

Mais Michaux ne s'abandonne jamais totalement au bruit et à la fureur, car, à travers ses voyages, il tend toujours l'oreille attentive du poète, qui entend et retranscrit en mots la musique propre à chaque civilisation asiatique, comme ces "immenses gammes" qu'il entend résonner dans la religion indienne. Sans nécessairement admirer ce qu'il découvre, il sait en restituer une singularité à même de lancer une rêverie ou une réflexion.

La caractère très libre et fragmentaire de cet ouvrage le rend tout à fait inclassable, et on y trouve même des comptes-rendus de visites d'aquariums, où Michaux laisse percevoir son amour contrarié pour la mer (lui l'ancien marin démobilisé), et se livre à des descriptions de poissons qui pourraient tout aussi bien être des créatures fabuleuses peuplant ses "lointains intérieurs".

Mais c'est paradoxalement loin au-dessus du niveau de la mer, dans les contreforts de l'Himalaya, que Michaux laisse le plus percevoir ses capacités à éprouver de l'amour pour autrui, pour un être humain considéré dans sa singularité et non plus comme le représentant d'une ethnie ou d'une culture. Au détour d'un simple sourire, qui ôte au barbare sa parole tranchante pendant un instant de grâce.
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