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Critique de berni_29


Demain les ombres et après on verra, peut-être la lumière juste avant les ténèbres...
Imaginez un territoire vaste comme le monde, un endroit intime et précieux comme la vie, où vivrait une communauté de femmes et d'hommes en harmonie avec la nature, avec eux-mêmes, avec le reste de l'univers.
C'est un endroit où les altérités s'effacent, où le corps n'est pas un objet aux limites bien étanches, séparé du monde...
Cet endroit existe, je l'ai aperçu en découvrant les premières pages de ce roman surprenant, me faisant entrer dans une zone d'inconfort pas du tout inconfortable puisqu'il est question aussi d'amour.
Le territoire n'est pas infini, il est délimité par ces infranchissables et redoutables frontières qu'on appelle les Confins, où rôde la Bête.
De l'autre côté, il y a ceux qu'on appelle les drôles d'humains.
Est-ce qu'une part de nous sait d'où nous venons ? Et l'autre part, sait-elle vers quelle destinée, quelles constellations nous dérivons déjà ?
Ils portent des noms qui pourraient prêter à sourire, mais qui nous rappellent aussi le souffle des Amérindiens et leur relation à la terre nourricière : Lune Rousse, Chat-Huant, Neige, Pluie d'Étoiles, Eau Bondissante... Ce sont « les Néans ».
J'ai eu une première moue un peu dubitative en effleurant ces premières pages, comme si j'étais tombé dans une sorte de filgoude d'anticipation... Mince !
Mais c'était sans compter sur l'étonnement, puis l'émerveillement.
Est-ce une peuplade primitive ?
Le temps de ce récit est fragmenté, nous plonge dans ce qui pourrait être à la fois un temps révolu et un temps à venir, peut-être pas si lointain de nous, à quelques encablures de nos désillusions.
Ils chassent, ils cueillent, parlent à cette mère nourricière qu'est la forêt comme si elle était leur propre mère. Ils semblent vouloir perpétuer les légendes de leurs déesses, héritées de leurs anciens. Ils ne savent pas qu'un autre monde existe et les observe, celui justement des drôles d'humains.
Et là le roman bascule dans un récit addictif qui m'a tenu en haleine jusqu'aux Confins de ma lecture, me promenant dans divers itinéraires qui viennent irriguer l'histoire : un laboratoire de génétique qui consacre ses recherches au clonage humain, des drones déguisés en oiseaux d'un autre âge, une société obsédée par le voyeurisme et la télé-réalité, un décor qui finit par m'évoquer The truman show...
Et si brusquement il était possible de franchir les Confins... ? C'est parfois en traversant les frontières que surgit l'amour insoupçonné... entre deux êtres si différents et si proches à la fois...
Et si cet autre monde c'était le nôtre ou presque ?
Parfois les frontières sont poreuses, plus poreuses qu'on ne le pense, entre un passé qui ne l'est pas vraiment et un futur improbable déjà bien avancé. J'espère que je ne vous ai pas déjà perdu...
Noëlle Michel l'autrice nous déroute, joue beaucoup avec la multiplicité des genres qui sont convoqués dans ce roman inclassable. Cela pourrait nous égarer. Pourtant, un fil conducteur finit par couturer l'ensemble dans une symphonie littéraire harmonieuse et éprise d'une joie incandescente. Car ici c'est tout un questionnement sur notre humanité qui est invité dans des pages servies par une écriture puissante et poétique.
Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Quelle est la place que nous pouvons occuper dans le bruit du monde ? Qu'en est-il de notre altérité ? Quel est le sens que nous mettons pour tenter de survivre et est-ce que cette absence de sens ou cette difficulté d'y parvenir n'est pas l'aveu de notre faillite, l'explication du désastre qui fait tanguer le navire ?
Invitant de belles questions éthiques, c'est un roman inspirant qui titille nos émotions pour venir visiter de manière poignante notre chemin dans cette aventure humaine qui nous étreint.
Bon, je vous laisse, j'ai rendez-vous avec Lune Rousse aux confins de ma nuit...

[ Lu dans le cadre de la sélection du prix Cezam 2024 ]
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