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Critique de Arimbo


Arimbo
12 septembre 2021

En ces temps de pandémie, de confinements successifs, puis de vaccination à laquelle certaines et certains s'opposent sous le motif de leur liberté de choix, dans un contexte aussi de menaces pour notre sécurité et de développement de la surveillance et du traçage dans tous les domaines, pas seulement par les pouvoirs publics, mais aussi par exemple par les GAFA, on peut lire avec profit je crois, cet essai de John Stuart Mill qui date du milieu du dix-neuvième siècle, essai dont le but principal est de définir les rapports entre liberté individuelle et vie sociale dans une société gouvernée par une autorité démocratiquement élue.

Une relecture passionnante et stimulante.

De la liberté n'est pas un essai sur le concept de liberté tel que l'ont traité de nombreux philosophes avant et après lui.
Il ne s'agit pas ici de se libérer d'une oppression extérieure, ou de se définir une loi intérieure, ou d'être seul responsable de soi-même.

Non, et c'est en ce sens qu'il est, me semble-t-il, un sujet extrêmement actuel, c'est plutôt quelle est la part de la liberté individuelle dans une société démocratique, ou encore, quelles sont les limites de l'autorité et de la contrainte que peut exercer une société démocratique sur la liberté de l'individu.

Stuart Mill développe sa conception du principe de non-nuisance à travers un premier exemple assez simple en apparence: celle de la liberté de pensée et de parole, ce que nous appellerions la liberté d'expression. Dans le chapitre consacré à cette question, l'auteur insiste tout au long sur l'importance qu'il y a dans une société démocratique de l'expression libre des opinions.
Quelques extraits pour illustrer ce propos:
« S'il y a quelques personnes qui contestent une idée reçue, ou qui la contesteraient si la loi ou l'opinion le leur permettait, qu'on les remercie pour cela, que l'on ouvre nos esprits pour les écouter, et que l'on se réjouisse, s'il se trouve quelqu'un pour faire ce qu'il nous incomberait autrement de faire pour nous-mêmes à plus grand' peine, si du moins nous avons quelqu'égard pour la certitude et la vitalité de nos convictions. »
Ou encore:
« Lorsqu'il se trouve des gens qui représentent une exception sous l'unanimité apparente du monde, sur un sujet quelconque, même si le monde est dans le vrai, il est toujours probable que les opposants ont quelque chose à dire qui vaut la peine d'être écouté, et que la vérité perdrait quelque chose à leur silence. »

Cela vaut pour toutes les opinions, y compris les croyances religieuses. Et Stuart Mill considère dans ce dernier domaine que le politique doit adopter une attitude de neutralité. Et par ailleurs, est assez lucide pour écrire que cela ne mettra pas fin « aux maux du sectarisme religieux ou philosophique ».
Mais cela ne signifie pas que l'on peut dire n'importe quoi.
Et le philosophe d'affirmer que c'est un devoir des hommes et plus particulièrement des gouvernements (et même que ce serait de la lâcheté de ne pas le faire) d'interdire des « doctrines dangereuses pour le bien-être de l'humanité ». Une notion, il faut en convenir, qu'il n'est pas toujours facile à établir.

L'exemple de la liberté de pensée et de parole permet à Stuart Mill de proposer son concept de la liberté, le principe célèbre de non-nuisance.
« La seule raison légitime que puisse avoir une communauté civilisée d'user de la force contre un de ses membres, contre sa propre volonté, est d'empêcher que du mal ne soit fait à autrui. »
Et pour le reste:
« le seul aspect de la conduite d'un individu qui soit du ressort de la société est celui qui concerne autrui. Quant à l'aspect qui le concerne simplement lui-même son indépendance est, en droit, absolue. L'individu est souverain sur lui-même, son propre corps et son propre esprit. »

Ce principe, qui pourrait être pris comme la possibilité pour un individu de mener sa vie comme bon lui semble, trouve sa cohérence dans l'idée d'autonomie qui le sous-tend. Et c'est en cela que ce traité est passionnant, malgré la foi en l'être humain qu'il suppose.
En effet, Stuart Mill affirme que la société se porte bien mieux si elle laisse aux individus qui la composent le maximum de liberté pour entreprendre, l'autonomie pour agir.
Avec pour corollaire le fait que l'Etat doit s'efforcer d'empêcher le moins possible la liberté individuelle, car « un État qui rapetisse ses hommes afin qu'ils puissent être entre ses mains des instruments plus dociles, même pour des objectifs bénéfiques, verra qu'avec de petits hommes, rien de grand ne peut vraiment être accompli ».
On voit là ce qui fait pour Stuart Mill d'être considéré comme un tenant du libéralisme, qui affirme que c'est bon pour une société que chacun puisse entreprendre, et, au final, si le meilleur gagne, toute la société en bénéficie. Sauf que, on le sait, tous les humains ne partent pas sur la même ligne de départ, etc….
Et poursuivant la même idée, Stuart Mill critique la bureaucratie aussi bien que le fait pour les citoyens de tout demander à l'Etat. Un passage savoureux que je vous cite m'a d'ailleurs fait penser à un certain pays que je connais bien:
« Dans des pays à la civilisation plus avancée, et à l'esprit plus insurrectionnel, le public, accoutumé à attendre que tout soit fait pour lui par l'État, ou du moins à ne rien faire pour lui-même sans demander à l'État, non seulement de le laisser faire, mais même comment faire, tient naturellement l'État pour responsable de tous les maux qui l'accablent, et lorsque le mal excède son seuil de tolérance, il s'élève contre le gouvernement….. »

Mais, et c'est une notion essentielle pour comprendre cette primauté de la liberté individuelle avancée par le philosophe, c'est qu'elle ne vaut que pour des individus autonomes. Et ce principe d'autonomie est, à mes yeux, aussi, voire plus important que celui de non-nuisance. En effet, Stuart Mill précise que la liberté individuelle ne s'applique qu'aux personnes disposant des facultés requises pour juger de ce qui est bon pour elles, ne n'applique pas à celles et ceux qui ne sont pas autonomes, en particulier les enfants, que l'on ne peut de son plein gré choisir de devenir l'esclave d'un autre…Il milite ( on est au milieu du 19 siècle) pour l'obligation de l'éducation des enfants qui doit leur apporter la capacité de faire des choix éclairés.

En conclusion , « primum non nocere », ce principe médical qui remonte à Hippocrate, et que reprend ici Stuart Mill pour le fonctionnement d'une société ou d'un État, rejoint sûrement l'obligation vaccinale pour les soignants, pour ne prendre que cet exemple, et sans doute l'obligation du pass sanitaire. Mais, on peut s'interroger sur le bien-fondé de toutes les contraintes et normes, de tous ces dispositifs de surveillance et traçage auxquelles chacun de nous est confronté, dans sa vie personnelle et professionnelle. Sont-elles là au nom du principe de non-nuisance? Sûrement pas dans tous les cas. Et l'idée que, pour le reste, les individus sont à même de décider de ce qui est bon pour eux, sans contrainte, elle relève, je trouve, d'une vision optimiste de l'être humain, et de sa capacité à faire des choix éclairés, vision qui me semble bien éloignée de la réalité, beaucoup préférant qu'on leur dise ce qu'il faut faire pour ensuite critiquer ce qu'on leur a imposé.

Pour finir, Stuart Mill ce farouche partisan de l'égalité homme- femme, ajoute à son traité tout un chapitre émouvant qui rend hommage à la contribution prééminente de son épouse qui vient de décéder. J'en joins un extrait dans les citations.
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