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Critique de Antyryia



"Sam Millar est un poète des ténèbres" publient les éditions du seuil en quatrième de couverture du roman, en reprenant les mots de l'hebdomadaire new yorkais Village Voice.
Je découvrais cet auteur avec Au scalpel, qui est le quatrième volet des enquêtes du détective Karl Kane après Les chiens de Belfast, le cannibale de Crumlin Road et Un sale hiver.
Avec cette information, je m'attendais à une écriture magnifique, ciselée, toute en finesse. Et mes petits yeux émerveillés ont été ... troublés.
"Ta mère aimait ça, la prendre dans le cul."
"Ca aurait pu être pire. Tu aurais pu te casser la bite."
"Quelqu'un avait oublié de tirer la chasse ( ... ) et un gros étron de la couleur d'un cigare et de la taille d'un bras de bébé flottait désespérément pour échapper à son enclos."
Donc, amis de la poésie, je ne suis pas si sûr que ce roman soit pour vous.
Quant aux ténèbres, elles sont probablement tout au fond de la cuvette.

Je prends donc le train en marche en découvrant Sam Millar et son enquêteur avec cet épisode. L'auteur irlandais a pour particularité d'avoir été emprisonné deux fois, tant en Irlande qu'aux Etats-Unis. J'ai lu quelques critiques des volets précédents et de nombreux rappels au sein de ce quatrième opus m'ont permis de lire le roman sans difficultés, même s'il est régulièrement fait mention de ce qui s'est passé précédemment et qu'une lecture chronologique demeure probablement à privilégier.

Il est devenu presque primordial pour les auteurs d'attribuer de profondes blessures à leurs enquêteurs récurrents. Dans ce domaine, Sam Millar n'a pas fait les choses à moitié avec son détective. A neuf ans, la mère de Karl Kane a été violée et tuée par un dangereux psychopathe, Walter Arnold. Notre détective en fait encore des cauchemars particulièrement violents.
"Et puis tout avait changé. Pour toujours. Les hurlements de sa mère, fous, les interminables cris stridents d'une infernale agonie. Les couteaux. le sang. La terreur. le viol. le meurtre."
Son père, atteint d'Alzheimer, a du être placé. Sa fille Katie est perturbée psychologiquement ( ce qui est lié à un volet précédent ). Il est également séparé de son ex-femme, Lynne. Et il doit soigner ses hémorroïdes et ce, apparemment, depuis les débuts de la saga.
Avouez que ça n'est pas si mal, pour un seul homme.

Malgré ces quelques problèmes à gérer au quotidien, Karl Kane est du genre protecteur au grand coeur. Et ses multiples traumatismes ne l'empêchent pas de prendre la vie du bon côté. Très amoureux de Naomi, sa nouvelle compagne, leurs envies de galipettes parsèment régulièrement le roman d'instants coquins.
Défenseur de la veuve et de l'orphelin, Au scalpel commence d'ailleurs par une scène où Lipstick, une prostituée et amie, appelle Karl à la rescousse à cause d'un client un peu trop exigeant et surtout brutal. Ni une ni deux, Karl fonce démolir le portrait de l'homme insatisfait, un sinistre trafiquant. Ce qui ne restera pas sans répercussions.
Et lorsqu'un nouveau client viendra le solliciter suite à un incendie dans lequel sa fille, son époux et ses deux petites filles ont péri, Karl ne saura pas dire non malgré la maigre rémunération proposée. La police a classé l'affaire en considérant qu'une cigarette mal éteinte est la cause de la tragédie ... mais les occupants ne fumaient pas.

Et ça n'est pas son dernier souci puisque ce roman est aussi la confrontation entre Scarman, surnom du meurtrier et violeur de sa mère, et Karl Kane. D'ailleurs les trois affaires vont devenir liées.
Scarman, qui doit son surnom à la cicatrice qui lui barre le visage, est un véritable monstre.
"Il se foutait de tuer, mais il préférait le faire quand tout était sous contrôle, sur le tempo de son choix."
Il est également pédophile et a enlevé deux jeunes femmes, une adolescente prénommée Tara et la petite Dorothy.
"Il en bandait si fort qu'il en serrait les dents et le scrotum. Il pouvait sentir les odeurs de corps chauds des gamines."
Dorothy est très pieuse, une simple fillette terrorisée et enchaînée dans une cave insalubre. Tara elle a bien davantage d'assurance et n'a rien d'une innocente jeune femme sans défense. Dans le prologue, elle se venge d'ailleurs d'un autre tortionnaire, un pasteur obsédé qu'elle va énucléer avant de lui labourer le cerveau de deux aiguilles à tricoter.

Présenté ainsi, Au scalpel paraît être à la fois un roman des plus malsain et des plus gore. Et pourtant non. Parce que certes certains passages sont d'une violence, d'une cruauté, d'une perversité assez étouffantes mais le livre ne se prend jamais au sérieux et n'a pas pour but de mettre le lecteur mal à l'aise.
L'humour de Karl Kane est là en permanence et permets de dédramatiser cette ambiance sale notamment au travers des dialogues, nombreux et souvent scabreux.
Je ne sais pas comment l'exprimer : le roman est d'une noirceur absolue au travers des thèmes abordés et pourtant il n'y a aucune réelle tension parce que le super méchant pédophile et tueur d'enfants, violeur et sociopathe est tombé sur un super détective et sur une proie pas si innocente ... Bref on sait d'emblée que c'est pour lui que ça risque le plus de mal finir. Ce qui fait qu'on garde une certaine distance avec toutes les atrocités qui nous sont relatées, qu'on n'est pas émotionnellement très impliqué.

Si j'ai un petit reproche à faire à ce livre, c'est quand même de ne pas s'attarder beaucoup sur la psychologie des personnages. Seul Karl Kane a droit au détour de nombreux problèmes et interactions à une analyse approfondie mais pour les autres, non. Pour certains ça a peut-être été fait dans des volumes antérieurs mais ici, il y avait tellement à raconter autour des personnages de Tara ou du vilain Walter Arnold que j'ai trouvé ces deux protagonistes dépourvus de réelle épaisseur. En savoir davantage sur leurs biographies respectives leur aurait donné de l'ampleur et il y avait amplement matière à donner plus de consistance au roman par leur intermédiaire. C'est dommage de ne les avoir exploités que succinctement.

Un roman un peu court d'ailleurs, à l'écriture nerveuse, sèche, qui ne s'attarde donc pas sur les descriptions mais davantage sur les interactions entre les personnages. Les courts chapitres, qu'une citation ouvre à chaque fois, alternent entre Karl Kane et Scarman ou ses deux proies prisonnières. La succession d'évènements se veut davantage une succession de dialogues décalés, tant il y a de personnages sans lumière à tous les étages.
A noter que la ville de Belfast et ses rues nauséabondes est presque un personnage à part entière, une ville avec ses propres règles et son atmosphère bien particulière.
"Tu crois vraiment que j'ai peur d'une bombe alors que je vis à Belfast depuis plus de dix ans ?"
"Une bonne vieille idée de la justice telle qu'on la pratique à Belfast."

Quant à l'aspect graveleux, il est surprenant mais pas si dérangeant. Et ça n'est jamais pornographique. Ca fait juste partie du côté provocateur de Karl Kane qui utilise beaucoup de métaphores plus ou moins heureuses ( "Mc Cormack ressemblait à quelqu'un qui vient de se prendre la bite dans le zip." ) et c'est une autre façon de rentrer dans l'intimité des personnages que de parler de leurs rognures d'ongles de pieds, leurs ronflements, de l'effet que peut avoir la terreur sur la vessie ou les intestins, à moins d'une remontée gastrique.

Je remercie bien sûr Babelio et les éditions du seuil pour m'avoir fait parvenir ce surprenant roman, l'un de ceux inaugurant la nouvelle collection "cadre noir" accueillant des auteurs qui arpentent - je cite - les territoires perdus, urbains ou ruraux, et y composent des fresques attentives aux vicissitudes du monde contemporain.

Sam Millar a un style bien à lui. Sous des airs de déjà-vu avec un enquêteur récurrent faussement traumatisé et sa confrontation avec le psychopathe ayant occis sa mère, il s'agit d'un roman noir qui l'aurait été encore bien davantage si l'humour n'avait pas allégé les passages d'une absolue cruauté. Un mélange inédit pour moi où le rire permet de dédramatiser et de perdre de vue certaines atrocités . Un humour peu subtil qui parfois tombe à plat mais parfois fait mouche également.
Et malgré sa relative vulgarité, son manque de finesse, son manque de contexte permettant de mieux appréhender les personnages ... Bref, malgré de nombreux défauts, force m'est d'avouer que le roman m'a bien plu. Et que je n'ai pourtant pas d'arguments pour l'expliquer.

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