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Critique de Presence


Cela fait 10 ans que Bruce Wayne a raccroché la cape de Batman pour mener uniquement une vie civile. Il a même renoncé à son voeu d'abstinence pour goûter les plaisirs gustatifs de l'alcool. Mais cet été là, la convergence de plusieurs circonstances le fait revenir sur sa décision : il ne peut plus rester les bras ballants devant une société du "moi d'abord" dont les dirigeants élus guident la ville de Gotham et les États Unis sur la base de sondages de popularité. À 50 ans passés, Batman reprend du service et cette fois chaque intervention est définitive. C'est ce que vont apprendre à leurs dépends Harvey Dent, le Mutant Leader, le Joker et même Superman.

Lorsque ce comics parait en 1986, c'est une révolution. Aujourd'hui encore, il reste une des 10 meilleures histoires de Batman et un récit qui prend aux tripes de la première à la dernière page. Frank Miller ne se contente pas d'une projection dans l'avenir du personnage pour mettre un point final à son histoire avec Joker. Il fait le constat d'une ville meurtrière où chaque individu est une victime potentielle qui viendra grossir les statistiques de la criminalité (dans une ambiance paranoïaque qui rappelle les passages les plus désespérés des romans de Patricia Cornwell). Il utilise l'hégémonie de la société du spectacle pour tourner en ridicule l'utilisation des plus bas instincts de l'homme pour faire de l'audience. Dans ce contexte, la résurgence de Batman s'apparente à un retour à des valeurs traditionnelles à l'opposé des paillettes et du mercantilisme outrancier d'un capitalisme impitoyable.

Les illustrations sont également viscérales et très travaillées. de prime abord, le lecteur peut être rebuté par des dessins peu plaisants à l'oeil, voire laids dans certaines cases (l'apparence du Mutant Leader par exemple). Mais rapidement, il apparaît que Miller a mis au service de l'histoire toute l'expérience qu'il a acquise sur Daredevil et Ronin. Ce tome comprend quelques pleines pages superbes (par exemple Batman tenant le corps d'un général qui vient de se suicider avec le drapeau américain comme linceul) et beaucoup de pages comprenant de 10 à 16 cases. Là encore la forme est indissociable du fond. Les pleines pages donnent à fond dans une iconographie de superhéros déconnectée de tout réalisme : Miller s'en sert pour mettre en image la légende, le coté plus grand que nature du Batman. Les pages divisées en une multitude de cases servent à donner un rythme rapide, une sensation d'instantanéité consubstantielle de la télé en insérant des fragments de dialogues de talk-show.

L'utilisation des ces talk-shows est magistrale. le lecteur assiste en direct à la récupération des actions de Batman par l'industrie de la télévision. Non seulement ce dispositif narratif permet au lecteur de mesurer l'impact du Batman dans la société américaine, mais aussi les différentes valeurs morales qui vont se cristalliser face à cette légende urbaine. Encore une fois, Frank Miller ne vise pas le réalisme ; il se conforme aux codes des récits de superhéros qui exigent une suspension consentie de l'incrédulité (suspension of disbelief) pour croire à ces gugusses costumés. le fan de superhéros retrouvera tous les points de passage obligés du genre : échange de coups de poings, démonstration de superpouvoirs, résistance hors du commun du héros (Miller y va vraiment fort sur cet aspect là), etc. Il retrouvera également tout l'univers de Batman dans des versions plus ou moins déformées : la Batcave, Alfred Pennyworth (avec un humour toujours aussi sarcastique), Robin (Carrie Kelly), James Gordon, Selina Kyle, Green Arrow, etc.

Attention, ce Batman n'est pas pour les enfants. À son âge, chaque coup doit compter et il ne fait pas dans la demi-mesure : il est violent, cruel, sadique, déterminé, obsédé même par sa soif de justice et de vengeance. Là encore, à l'aide de visuels savamment pensés, Frank Miller donne une nouvelle interprétation de la chauve-souris comme animal totémique sans tomber dans le ridicule.

L'encrage de Klaus Janson est parfaitement à l'unisson des dessins de Miller. le lecteur ne perçoit aucun hiatus entre l'illustration et son rendu encré. La fusion entre les 2 est parfaite. Et ces illustrations bénéficient de la mise en couleur de Lynn Varley qui elle aussi fait preuve d'une inventivité et d'une sensibilité adulte. Elle opte pour une palette moins agressive que les comics habituels tout en distillant quelques touches de couleurs vives qui n'en ressortent que plus.

J'ai déjà lu une bonne dizaine de fois cette histoire et je ne m'en lasse pas. À chaque fois la force du récit me prend aux tripes et m'emmène dans cette vision noire de la vie urbaine, dans cette force de la nature qu'est Bruce Wayne, dans cette critique d'une société dédiée à la poursuite du divertissement, dans ce grand défouloir ou le bon triomphe des méchants, dans cette cruauté qui imprègne chaque relation humaine (même si je ne suis pas forcément d'accord avec les prises de position de l'auteur). Frank Miller a donné une suite à cette histoire dans The dark knight strikes again.
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