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Critique de berni_29


Encre sympathique, ce court roman de Patrick Modiano commence comme une enquête policière.
Le très jeune narrateur, Jean Eyben, est embauché à l'essai dans un cabinet de détective privé, la première mission qui lui est confiée est de retrouver les traces d'une certaine Noëlle Lefebvre.
Le dossier se rapportant à cette personne est mince, les éléments imprécis, il n'est pas aidé dans cette mission. Il va donc y aller par tâtonnement, s'engouffrer dans cette enquête avec si peu d'indices... C'est comme une déambulation dans les rues de Paris, notamment le 15e arrondissement.
Il va tenter de démêler l'écheveau, il va rencontrer des personnages qui ont connu cette fameuse femme disparue, découvrir un appartement vide, un agenda avec quelques annotations mystérieuses, des bribes de mots, de phrases. Mais voilà ! Au moins, les informations qu'il glane sur son chemin permettent d'enrichir le bien maigre dossier de base qu'on lui avait fourni au démarrage de cette enquête...
La déambulation devient un dédale, un labyrinthe. Comment ne pas voir dans ce jeune détective en herbe l'alter ego de Modiano... ?
À la page 91, le narrateur nous éclaire sur la définition de l'encre sympathique. : « Encre qui, incolore quand on l'emploie, noircit à l'action d'une substance déterminée. »
Le récit se déploie sur une trentaine d'années. Nous voyageons de Paris, à Rome, en faisant une petite halte à Annecy... Quelques années plus tard, par hasard Jean Eyben renoue avec cette vieille affaire qu'il avait abandonnée lorsqu'il était jeune et qui n'a jamais été résolue depuis lors...
En trente ans, tandis que les rues de Rome restent immuables, les quartiers de Paris bougent, des grues se dressent au milieu des décombres d'un ancien quartier qu'on s'apprête à réhabiliter. Sous le fatras des murs démolis, des fantômes du passé gisent et semblent vouloir tendre des gestes désespérés pour éclairer les pas de ceux qui les recherchent... Pas facile de retrouver son chemin lorsque les quartiers d'avant n'existent plus, les repères sont effondrés, il faut avancer, revenir sur ses pas en évitant de tomber dans un trou de mémoire...
Et puis brusquement, contre toute attente, on croit que le ciel s'éclaire, que les pièces du puzzle finissent par s'emboîter d'eux-mêmes, mais est-ce vraiment là que l'auteur veut nous amener ?
Les thèmes chers à Patrick Modiano sont bien au rendez-vous : la disparition, la recherche d'identité, l'amnésie, le retour vers un passé énigmatique, les secrets, la mémoire...
À ceux qui trouvent que Patrick Modiano se répète de livres en livres, l'auteur aime citer Faulkner qui disait qu'écrire c'est épuiser un rêve.
Vous m'aurez compris, cette encre sympathique est une belle métaphore, poétique aussi, presque métaphysique à certains endroits, hors du temps. Je me suis plu à rêver de cette mystérieuse Noëlle Lefebvre, j'ai craint pour elle car je n'aime pas beaucoup certaines de ses fréquentations, j'ai espéré retrouver sa trace, c'est une petite musique qui m'a envoûté dans cette variation du temps qui passe.
Menée comme une enquête policière, j'ai aimé cette déambulation mélancolique au-dedans de nous-même, qui est une promenade bien plus que sympathique, elle est furieusement jubilatoire.
Peut-être que dans trente ans, en relisant cette chronique, d'autres mots vous apparaîtront dans les non-dits que l'encre sympathique aura révélés par-delà les stigmates du temps....
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