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Critique de Arimbo


L'enfance,
Qui peut nous dire quand ça finit
Qui peut nous dire quand ça commence...
......
L'enfance
Qui nous empêche de la vivre
De la revivre infiniment
De vivre à remonter le temps
De déchirer la fin du livre...."

Remise de peine, un émouvant roman sur l'enfance de notre grand Patrick Modiano.
Je sais que tout le monde ne partage pas mon avis sur cet auteur, mais, à la lecture des critiques sur Babelio ou ailleurs, force est de constater que cette diversité d'opinion sur les romancier-e-s est la règle. Je suis persuadé que, mis à part les mauvais auteurs, hélas nombreux, je veux dire celles et ceux qui écrivent mal et/ou nous racontent des inepties, notre appréciation des "bons auteurs" est toujours subjective. Cela dépend de tant de choses: notre profil psychologique, notre âge, nos expériences vécues et notre histoire culturelle, voire même notre humeur du moment.

Le roman de Modiano prend la forme d'une auto-fiction issue d'événements réels vécus par Patrick et son frère Rudy (qui ne sera jamais nommé) alors qu'il avait 7 ans et son frère 5, lorsque tous deux furent confiés par leur mère, partant en tournée théâtrale, à une amie résidant à Jouy-en-Josas. Les faits réels sont relatés dans Un Pedigree, où l'on apprend que cette amie Suzanne appartenait au monde de la petite délinquance, recevait beaucoup de femmes chez elles, et finirait par être arrêtée, ce qui obligerait le père à venir reprendre ses enfants en 1953.
Mais pour notre plus grand plaisir, cette histoire vraie se transforme en un merveilleux roman dans lequel notre héros, âgé cette fois de 10 ans, est, avec son frère, entouré d'êtres de fiction, des femmes énigmatiques et souvent tendres, Annie, Mathilde, la mère d'Annie, la petite Hélène, ancienne écuyère de cirque, Blanche-Neige, et d'autres hommes et femmes de passage.

Je tente une hypothèse pour ce récit. Je me demande si Modiano n'a pas recomposé cet épisode marquant de son enfance pour tenter d'y donner du sens, de récréer, au delà de l'énigme, une certaine forme de douceur dans une enfance chaotique marquée par l'abandon des parents, surtout la privation de l'affection d'une mère.
Car, ce qui m'a frappé, hors la dureté de Mathilde, la mère d'Annie, c'est la tendresse et la bienveillance de toutes et tous à l'égard de ses enfants, Annie surtout, mais aussi la petite Hélène, Blanche-Neige, et même les hommes qui gravitent autour de ces femmes, Roger Vincent, Jean D, dit Buck Danny. Qu'il s'agisse des cadeaux faits aux enfants, des promenades dans la voiture américaine de Roger Vincent, ou sur la moto de Jean D., on sent que pour ces adultes, ces enfants comptent, sont importants, alors qu'ils ont si peu compté pour leurs parents, et ont été si mal considéré par leurs enseignants.

Cependant, en dépit de leur gentillesse, tous ces adultes de la maison du Docteur Guillotin ont des activités bien étranges et des comportements bien difficiles à déchiffrer. Que font-ils dans ces soirées où ils se rassemblent? Pourquoi Annie pleure-t-elle si souvent? Que va-t-elle faire le soir et la nuit à Paris? Que fait-on dans ces garages où les emmène Annie? Modiano, avec son art extraordinaire, nous plonge au plus profond dans ce monde de l'enfance face aux mystères du monde des adultes. Et plus encore, nous fait ressentir l'incertitude, la sensation de flottement de ces enfants déracinés, qui trouve son sommet dans la disparition de tous les locataires de la maison à la fin du roman.

Et aussi, il nous fait saisir merveilleusement l'enfance et son imaginaire, ses mystères, ses terreurs, ce château voisin et son propriétaire "fantôme", le Marquis de Caussade, et le projet des enfants, toujours reporté, de s'y rendre la nuit.

En définitive, j'ai trouvé un mélange de tendresse et de souffrance dans ce roman, et, comme toujours, ce don magique qu'a Modiano de nous emmener en voyage dans son univers incertain fait d'ombre et de lumière.

En guise de post-scriptum: j'ai vu à la TV il y a quelques jours un excellent documentaire sur la vie de Charlie Chaplin. Toutes proportions gardées, quelle étrange similitude entre les enfances de Chaplin et Modiano. de ces enfances chaotiques, sans amour parental, naîtront des oeuvres de génie marquées toutes deux d'une profonde humanité.
"J'ai pris de ta boue et j'en ai fait de l'or."
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