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Critique de 5Arabella


Un pedigree, paru en 2005, est le texte le plus ouvertement auto-biographique de Patrick Modiano, il se place d'une certaine manière au centre de son oeuvre, dans laquelle l'auteur livre à chaque fois, sous des formes différentes, des bribes de sa vie, réelle ou transformée par le travail de la mémoire.

Ici, le livre commence presque comme un compte rendu d'état civil, sur des faits, des dates, qui concerne ses parents, et même ses grand-parents. L'auteur indique « Je tente, à défaut d'autres repères de suivre l'ordre chronologique ». Puis il égrène, dresse des listes des personnes que ses parents ont pu connaître pendant l'Occupation, moment où ils se sont rencontrés à Paris. Période que Modiano évoque régulièrement dans ses livres, et qu'il n'a pas connue, puisqu'il est né en juillet 1945. Mais qui est un moment essentiel de sa mémoire, mémoire hantée par les disparitions, les destructions, les morts. L'Occupation c'est la mémoire pré-natale, qui précède le sujet, qui est d'autant plus fondatrice que la génération précédente, celle de ses parents s'est tu à ce sujet. Et qu'il faut donc tenter de reconstituer, de redonner vie, de sauver de l'oubli, de l'anéantissement. Ce qu'il essaie de faire.

Avant de passer à ses souvenirs à proprement parlé. Souvenirs d'une enfance triste, solitaire. Sa mère qui passe sa vie en tournées, et qui le laisse à droite et à gauche dans des endroits douteux. Son père pas vraiment là, qui le voit dans des lieux publics, qui en profite pour traiter des affaires avec d'étranges ou inquiétants individus. Des séjours dans des internats, qui ressemblent à des prisons, miteux pour certains. Deux événements essentiels : un film où il va avec son père lui révèle la Shoah, et la mort de son jeune frère qui a à peine une dizaine d'année, d'une leucémie.

Et aussi, comme la seule lumière, le seul possible de sortir de tout cela, mais aussi d'une certaine manière de donner sens, de supporter, la littérature. Les livres lus, très jeune, et dont il se souvient, et qui l'accompagnent, malgré les interdits de certains internats, et puis aussi à un certain moment, l'écriture, comme la seule évidence.

Tout cela raconté dans un dépouillement extrême, sans aucun pathos, auto-apitoiement, ressentiment. Parce que ses parents ne sont que « Deux papillons égarés et inconscients au milieu d'une ville sans regard », victimes d'une époque, d'un contexte historique. Modiano essaie de comprendre, pas de juger, ni encore moins de condamner. Peut-être qu'il n'essaie même pas de comprendre vraiment, car ce n'est sans doute pas possible, mais il ressasse, il cherche, il fait ce travail de mémoire inlassablement. Sans illusions sur les bénéfices pour lui, cela n'effacera rien, ne permettra sans doute pas de surmonter, de passer à autre chose. Juste qu'il ne peut pas faire autrement que de transformer en littérature ce vécu, réel ou fantasmatique.

Une très grande littérature, bouleversante, alors que le ton, les mots sont si sobres, qu'ils semblent vouloir éviter l'émotion. Mais elle est là, authentique, vraie, parce que ce que Modiano raconte vient du plus profond de lui-même, du plus vital, et que son art de le mettre en mots est immense.
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