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Critique de DianaAuzou


Tragédie exemplaire ou farce bouffonne ? Dom Juan ou Sganarelle ? Les deux à la fois, le maître et le valet, deux extrêmes inséparables qui se rejettent, se repoussent et se complètent l'une l'autre.
Héros légendaire Dom Juan est devenu mythique, il vit depuis que le monde existe, peut-être même avant. Est-il devenu une allégorie philosophique ?
Pièce en cinq actes et en prose (grande surprise au XVIIe siècle), Dom Juan a connu un succès immédiat en 1665, l'année de sa création mais seulement pour 15 représentations. Après, critiqué et attaqué, il tombe dans l'oubli pour plus d'un siècle. Et dire qu'il a été écrit après un Tartuffe interdit !
Dom Juan esprit fin chassant toute entrave, est un libertin, un bourreau des coeurs, athée, fils indigne, hypocrite, opportuniste, insolent, et son indifférence aux valeurs sociales de l'époque comme aux devoirs dans toute relation humaine frise le mépris. Etre de démesure et d'excès, il ne trouve son pendant que dans le personnage de Sganarelle, son ombre (comme inséparable et comme contraire en même temps), son écho et le rappel sans succès à un travail de conscience.
Dom Juan, non seulement il ne l'écoute pas, d'ailleurs il n'écoute personne, mais en fait tout le contraire. Est-ce pour prendre ses distances avec les autres et lui-même ? Est-ce pour marquer sa liberté de pensée et d'action ? le ton est grave et profond sous ses habits légers de comédie.
Se détachant constamment de lui-même, Dom Juan devient une sorte de miroir, non pas réfléchissant, mais interrogateur, accusateur et approbateur à la fois. Personnage mystérieux, fuyant les autres et sa propre personne, il est instable en tous points. Incohérent par toutes les contradictions dont il est construit, Dom Juan est par cela même très cohérent ! Ambigu et fort complexe, il s'attire la sympathie (celle des intéressés), et le blâme, dans un désordre où le seul maître est Molière, jongleur parfait avec l'audace et la maîtrise. L'auteur reste neutre, sans position, et laisse à ses lecteurs entière liberté de réflexion.
Le dramaturge prend ses aises avec la règle classique des trois unités, la retravaille et en extrait l'essence. Les lieux sont multiples tout comme les péripéties accumulées, et une continuité logique des actions vole en éclats quand le fortuit règne. Unique lieu, Sicile, grande île mais encerclée d'eau, la fuite est impossible.
Alors, au lieu de convergence la pièce nous offre la divergence. le héros n'est pas stable, n'a pas de racines, se désintègre psychologiquement, fuit tout et va à sa perte au festin de pierre, le souper avec la statue en pierre du Commandeur, pierre de mémoire, pierre funéraire, là où tout s'arrête et tout disparaît.
Molière a feuilleté ses devanciers, s'en est inspiré, a accumulé faits et personnages et s'en est libéré en les remodelant, par éliminations, rajouts et transpositions, pour créer finalement une oeuvre magistrale de style, de mise en scène et de profondeur d'analyse. Plus nous la lisons, plus elle se "dévoile" et nous présente les multiples interprétations que nous pouvons faire de l'histoire et des personnages. Un mythe qui traverse les âges et garde sa surprenante jeunesse.
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