Les hommes ont coutume d'appeler destin ce qui leur arrive quand ils ont perdu la force de lutter.
Je sais que la vieillesse est la véritable étape épique de l'homme, c'est l'âge où nous autres guerriers, nous devons livrer notre bataille la plus glorieuse. Il n'y a pas de geste plus grande, pas de prouesse plus noble que de savoir vieillir et mourir bien.
Je suis femme et j'écris. Je suis plébéienne et je sais lire. Je suis née serve et je suis libre. J'ai vu dans ma vie des choses merveilleuses. J'ai fait dans ma vie des choses merveilleuses. Pendant un temps, le monde fut un miracle. Puis l'obscurité est revenue. La plume tremble entre mes doigts chaque fois que le bélier cogne contre la porte. Un solide portail de métal et de bois qui ne tardera pas à voler en éclats. Des hommes de fer lourds et sales s'entassent à l'entrée. Ils viennent nous chercher. Les Bonnes Femmes prient. Moi, j'écris. C'est ma plus grande victoire, ma conquête, le don dont je me sens le plus fière. Et même si les mots sont dévorés peu à peu par le grand silence, ils constituent aujourd'hui ma seule arme. L'encre tremble dans l'encrier au gré des coups, elle aussi apeurée. Sa surface se ride comme celle d'un petit lac ténébreux. Mais voilà qu'elle se calme étrangement. Je lève la tête dans l'attente d'un assaut qui ne vient pas. Le bélier s'est arrêté. Les Parfaites aussi ont cessé le bourdonnement de leurs prières. Serait-ce que les croisés ont pu entrer dans le château ? Je me croyais préparée à cet instant mais je ne le suis pas : mon sang recule tout au fond de mes veines. Je pâlis, tout entière transie par le froid de la peur. Mais non, ils ne sont pas entrés : nous aurions entendu le fracas de la porte qui se brise, l'effondrement des sacs de terre dont nous l'avons renforcée, les pas rapides des prédateurs montant l'escalier. Les Bonnes Femmes écoutent. Moi aussi. Les hommes de fer cliquettent sous les meurtrières de notre forteresse. Ils se retirent. Oui, ils sont en train de se retirer. Le soleil est sur le point de disparaître et ils préfèrent sans doute savourer leur victoire à la lumière du jour. Ils n'ont pas besoin de se hâter : nous ne pouvons pas nous enfuir et il n'existe plus personne qui puisse nous aider. Dieu nous a accordé une nuit de plus. Une longue nuit. J'ai toutes les bougies de la réserve à ma disposition, puisque
La vanité et l'ambition rendent égaux les sages et les idiots.
Dans le silence émouvant de la cérémonie, je me suis souvenue du monde raffiné de la reine Aliénor et à quel point m’avaient émue ces merveilleux paladins du Grand Tournoi de Poitiers, ces guerriers courtisans dans lesquels je voyais la plus haute représentation de la noblesse. Mais la véritable noblesse, maintenant je le sais, c’est ça. C’est marcher toute sa vie d’un pas juste, d’un pas qui sort du cœur. C’est que nos actes soient en harmonie avec nos pensées, même si le prix en est élevé. Et n’imposer ces pensées à personne, et rester modeste et compatissant dans notre grandeur. Mon vieil ami le saint Chevalier avait raison : nos derniers jours sur Terre sont le moment de la grande vérité. Une fin honorable confère dignité et signification à toute une existence.
Tous ces livres, je le sens, sont en train de me changer de l’intérieur. Je ne pouvais pas imaginer que cette chose qu’on appelle lire était comme la vie. (p. 114)
C’est le silence, le grand silence de la parole humiliée et enchaînée, c’est le silence retentissant qui se produit toujours quand la seule voix autorisée est celle de qui détient le pouvoir. Ils sont en train de construire un monde étouffant.
Notre coeur est la seule église de Dieu , et c'est la plus belle. Nous n'avons pas besoin de construire des édifices coûteux , qui ne servent à rien sauf à y enterrer des sommes considérables d'argent qui pourraient être utilisées pour pallier les besoins pressants des fidèles.
Il y a des jours, il y a des moments où la vie semble trop petite. (p. 121)
- Qu'avons nous d'autre à part les mots, Léo ? bondit Nynève avec une passion curieuse. Qu'avons nous à part la raison ? C'est notre seule arme. Plus la situation sera difficile, confuse et désespérée, plus nous devrons faire l'effort de penser.