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Critique de VingtNeuf


Dante, Miguel, Hugo et Leitão sont quatre amis d'enfance, originaires d'une petite ville tout au sud du Brésil. En 2010, ils partent vivre à Rio de Janeiro pour leurs études et louent un grand appartement en colocation à Cobacabana. Quatre ans plus tard, ils sont en proie à la désillusion et au désoeuvrement ; ils ont bien du mal à se faire une place dans un pays en crise offrant très peu d'opportunités aux jeunes. Dante a finalisé ses études d'administration des entreprises, mais ses recherches d'emploi n'aboutissent pas ; en attendant , il travaille dans une librairie. Miguel est interne dans un hôpital. Hugo, excellent cuisinier, enchaîne les missions de commis dans divers restaurants. Quant à Leitão, qui souffre d'obésité et de nombreux problèmes psychologiques liés à une enfance tragique (sa mère, propriétaire d'un bordel, est morte dans un incendie), il passe ses journées enfermé dans sa chambre à surfer sur Internet et à manger.

Un jour, Dante reçoit un appel de l'agent immobilier qui l'informe que le loyer n'a pas été versé depuis six mois. Leitão, chargé de faire le virement pour les quatre colocataires, a détourné l'argent pour payer les services de Cora, une prostituée dont il s'est amouraché.

Afin de remédier à leurs problèmes financiers, les quatre amis décident d'unir leurs compétences et d'organiser des dîners chez l'habitant. C'est là que tout bascule.

Le premier dîner se passe à merveille. Un des convives, un homme trouble prénommé Umberto, leur propose de continuer, d'aller plus loin, de prospérer. Dante tente de résister, mais finit par céder aux propositions alléchantes d'Umberto. L'entreprise connaît un véritable succès. Les listes d'attente s'accumulent. Les quatre amis non seulement résolvent leur situation financière, mais semblent avoir trouvé leur place dans la société. Hugo s'épanouit en tant que chef gourmet. Miguel parvient à faire soigner sa mère atteinte d'un cancer. Leitão et Cora continuent leur idylle. Dante profite de son aisance économique pour consommer à loisir cocaïne et ecstasy. C'est le plus tiraillé de tous : si d'un côté, il est ravi du succès professionnel qu'il attendait depuis longtemps, il ne parvient pas à s'apaiser, constamment en proie à la méfiance, à la suspicion et la paranoïa, ainsi qu'à des tourments moraux.

La spirale de la violence et de la folie ne semble jamais s'arrêter et prend des proportions inimaginables.

Le récit est le témoignage de Dante, à la première personne. Si le lecteur sait dès la première page qu'un individu s'est rendu de lui-même au commissariat pour avouer des faits graves, il n'apprend qu'à la fin que Dante écrit du centre pénitentiaire. Avec une étonnante précision concernant chaque épisode, les dates exactes, il essaie de comprendre ce qu'il s'est passé et s'adresse de temps à autre à un lecteur imaginaire.

La tension traverse le roman, page après page. On se demande en permanence ce qui va se passer, jusqu'où l'horreur va aller. le personnage d'Umberto est terrifiant, habité par une véritable folie ; celui du prétendu « cerveau » Vladimir, un homme invisible dont Dante s'obstine à vouloir découvrir l'identité, encore plus. Bref, le lecteur est littéralement happé par le suspense de ce thriller à haute teneur psychologique.

Il est question du cannibalisme de survie, des rituels anthropophagiques et naturellement du cannibalisme criminel et psychopathe, dont les principaux amateurs, dans le roman, sont des gens issus de haute société brésilienne. Les scènes – dont la lecture est parfois insoutenable – de chasse, de la visite à l'abattoir, d'équarrissage, de boucherie puis de cuisine semblent dénoncer l'absurdité de la consommation de la viande animale et ne sont pas sans rappeler le procédé utilisé par Pierre Boulle dans la Planète des singes.

Le thriller est sous-tendu par la question de savoir comment des individus a priori équilibrés peuvent glisser vers l'ignominie, l'inhumanité, sans jamais parvenir à en échapper. Il semble que les difficultés à accéder au succès par des voies « normales », l'ambition, l'adrénaline provoquée par leur transgression des limites, mais aussi une noirceur profonde soient quelques-uns des éléments permettant de comprendre un tel basculement.

La « normalité » et la folie cohabitent tout au long du roman et cette dualité n'épargne aucun des personnages. Ainsi, Arthur, le fiancé éploré qui recherche désespérément sa compagne journaliste, se transforme-t-il en un véritable psychopathe à l'heure de se venger.

Des critiques à l'encontre de la société brésilienne apparaissent en filigrane ; elles concernent à la fois le système de santé, la justice, la police et son lot de corruption, de complicité avec le crime et d'impunité. Il est également question des excès et de l'absurdité de la religion évangélique, particulièrement présente au Brésil. Enfin, l'auteur évoque la crise économique, les promesses fallacieuses d'un pays qui montre au monde entier une image prospère (Coupe du monde, Jeux Olympiques), mais qui est incapable de proposer des emplois corrects aux jeunes diplômés.

Si le texte n'est pas dépourvu de quelques maladresses, de passages prévisibles, moins crédibles et de quelques longueurs, l'ensemble est marqué par une narration bien construite qui rappelle un scénario de film. Les dialogues sont réussis, le style vif, alerte, « jeune ». le récit est parfois interrompu par des lettres (de Leitão à sa mère décédée), de mails, de messages WhatsApp. Ces derniers, ponctués de smiles, de mots corrigés à l'aide d'un astérisque et de photos, remplacent le récit du vol d'un corps dans un hôpital, formant un chapitre particulièrement drôle. le texte est du reste saupoudré d'humour noir, notamment dans les scènes à la Tarantino de dépeçage à la tronçonneuse ou dans la description des menus. Enfin, tout au long du roman apparaissent les vers maladroits de Cora, convaincue d'être dotée de talents de poète.

Internet et les réseaux sociaux sont très présents, que ce soit pour les dîners, les transferts d'argent, les enquêtes sur les convives, mais aussi les rencontres sexuelles – Dante, qui est homosexuel, est un utilisateur assidu des applications gays.

En somme, Dîner secret est un thriller intense qui se lit d'une traite, dérange, bouleverse et questionne. L'auteur recourt à des procédés assez classiques du roman noir, mais les rebondissements, le sujet, le climat surprennent et l'ensemble fonctionne.

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