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Critique de oiseaulire


Je viens de terminer "les jeunes filles" de Henry de Monterlant qui m'avaient scandalisée lors de ma première lecture à 15 ans.

Ma conclusion est que je l'avais lu beaucoup trop jeune et n'y avais pas compris grand-chose, si ce n'est la goujaterie du héros.

Je n'y avais pas vu la dérision et la perspicace analyse de la psychologie masculine (et féminine) par l'auteur, qui, pour un peu, irait jusqu'à la misandrie presque davantage que vers la misogynie.

Il y aurait ici beaucoup à dire : Montherlant, quand même, quelle pointure : style, réflexion, élégance jusque dans la gaudriole... du grand art, même s'il n'est pas allé au bout de son analyse en ce qui concerne les femmes ( le mariage certes, comme seule carrière possible en 1930. Mais voulaient-elles l'homme comme fin ou l'homme comme moyen de la seule réalisation de soi permise ? )

Et de fait, on voit bien l'amoureuse Andrée Hacquebaut confondre fin et moyen. Quoi de plus naturel ?

L'homme (ici un écrivain à la mode, snob, libertin quoique conventionnel et un peu grotesque) tourné vers le monde et ses vanités (vanitas vanitatum, et omnia vanitas) et la femme, avide, ne lâchant pas de vue son objectif, tournée vers la réalisation de soi avec une marge de manoeuvre très étroite : contracter mariage, seule carrière possible à part celles de vieille fille ou de prostituée : faire un mariage honorable pour garder la tête haute.

Hommes et femmes tous deux conformistes et obéissant aux pressions sociales, les premiers par vanité, les seconds par instinct de survie.

Mais il n'y a pas que cela.

On sent le jansénisme dans cette oeuvre plus sévère qu'il n'y paraît, et un mysticisme certain.

Le mysticisme semble l'affaire des femmes, même si elles se trompent d'objet. L'homme ici ne connaît la vie spirituelle que par les livres et l'érudition, par le "on-dit". Les femmes le vivent ; les deux amoureuses de Costals le vivent : l'une un peu givrée de religion ; l'autre, plus estimable que l'objet de son amour car elle va au bout de la réalisation de soi, jusque dans l'anéantissement. Elle seule risque et ose, c'est au fond de l'abîme qu'elle atteint la grandeur malgré la chute, malgré l'humiliation. le péché originel, c'est d'avoir commis l'erreur fondamentale de confondre Dieu et sa créature, d'avoir divinisé l'homme. Que l'on soit croyant ou athée, il ne faut jamais confondre la partie et le tout, l'univers et son infinitésimale manifestation.

Costals lui, personnifie l'impuissance à vivre, à risquer, à s'oublier. C'est un obsessionnel de soi-même, amoureux de son image. Costals, être inachevé, qui SAIT, mais ne SENT pas (c'est Montherlant qui le dit). Costals est un castrat de l'affect.

Costals et Andrée Hacquebaut sont des prototypes : deux intellectuels, l'un dans le monde mais fasciné par les vertiges de la vie spirituelle dont il a peur et qu'il contemple en miroir chez la femme ; l'autre, retirée du monde dans sa nuit intérieure et attirée par la "normalité" qu'elle prête au monde. Encastrés l'un dans l'autre comme le Yin et le Yang.

Voici une oeuvre de haute volée qui dépasse de beaucoup les rapports femmes/hommes.

Ajout le 4 décembre 2022 :

Stupéfiant : Montherlant s'est inspiré dans ses quatre romans de la série des Jeunes filles du livre de Roberto Arlt paru en 1933 "La danse du feu" ("El amor brujo).

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