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Critique de colimasson


Les auteurs de romans d'amour sont les premières victimes de leur sentimentalité. Pierre Costals, le personnage central des Jeunes Filles, serait-il le représentant précoce –quoique plus complexe et psychologiquement plus profond- d'un Marc Lévy ou d'un Guillaume Musso ? Ses talents à mettre en scène les flux et reflux amoureux de ses personnages déchaînent les fantasmes de lectrices pour lesquelles l'amour n'est encore qu'un rêve parsemé de préjugés romantiques et bourgeois. Thérèse et Andrée vivent ici ou là, dans des coins perdus de province et, à l'aube de la trentaine, elles ne connaissent rien de plus de l'amour que ce que Pierre Costals, par le biais de ses romans, veut bien leur en montrer. Passionnées par désespoir, elles assaillent l'écrivain de lettres dans lesquelles toute l'infamie de leur existence transparaît, espérant susciter chez leur lecteur sinon l'amour, au moins la compassion débordante dont il fait preuve dans ses romans.si Thérèse, dévote et larmoyante, et Andrée, intellectuelle au moral solide, ne se ressemblent pas dans leurs caractères, elles sont en revanches aussi laides l'une que l'autre. Ce détail semble suffire à Pierre Costals qui, déjà bien occupé par ailleurs avec d'autres amantes -jeune fille, maîtresse et prostituée-, dédaigne longtemps de leur répondre, malgré l'abondance de leurs courriers. Et puis, il consent enfin à donner signe de vie au moment où l'engouement de ses lectrices allait s'éteindre, relançant mieux que jamais leur ardeur et les précipitant, de fait, vers une ruine douloureuse.


La forme fluide de ce roman se montre passionnante et fait s'alterner à un rythme rapide les lettres envoyées par Pierre, Andrée ou Thérèse, parfois entrecoupées d'annonces matrimoniales, de dissertations d'écrivain et de narration plus classique, venue à point nommé pour éclaircir et relancer la tension des échanges épistolaires. Cette forme éclatante s'accompagne d'un fond délicieux qui n'échappe pas à une virulente cruauté nietzschéenne. Alors que les années 30 valorisaient le mariage, Henry de Montherlant signe un acte de mort à la conception bourgeoise du couple. Plus encore que la laideur et le désespoir de ses lectrices, ce sont les fantasmes dans lesquels se repaissent Andrée et Thérèse qui dégoûtent Pierre Costals. Parle-t-on alors davantage de méchanceté que de fatigue ? Pierre Costals ne fait-il finalement pas preuve de charité en essayant de guérir deux femmes perdues de leurs illusions ? Celles-ci croient ne pouvoir assurer leur bonheur qu'à la condition de s'allier à un parti convenable ou passionné ; il semble plutôt temps qu'elles essaient de décoller par la propre force de leurs talents. Leur souffrance est un instrument d'instruction. Même s'il ne semble pas s'en rendre compte, Pierre Costals cherche à faire grandir ses maîtresses en leur donnant à croire en elles-mêmes, bien que son ambivalence nourrie d'une passion intarissable pour la nouveauté et la diversité des visages humaines le pousse lui-même à courir sans cesse après une forme d'idéal négatif : celui de la femme passive, dénuée de tout sentiment et de tout intellect.


Henry de Montherlant se promène d'ambivalences en contradictions pour tracer des portraits nuancés de ses personnages. le sentiment amoureux et la notion de couple passent au crible d'idées qui apparaissent comme un savoureux mélange d'influences nietzschéennes et de prémisses kunderiens. le premier réapparaît dans sa façon de considérer la relation amoureuse à la manière d'une annexion(« On ne devrait jamais dire à quelqu'un qu'on l'aime, sans lui en demander pardon ») et le deuxième se laisse présager dans la mélancolie que ressent Pierre à chaque fois que, choisissant momentanément une femme, il comprend devoir se priver de toutes les autres qu'il aurait pu choisir de manière tout à fait égale (« Ce monstrueux hasard à la base : l'homme qui est forcé de prendre une compagne pour la vie, alors qu'il n'y a pas de raison pour que ce soit celle-là plutôt qu'une autre, puisque des millions d'autres sont aussi dignes d'être aimées »). Si Pierre Costals rejette la notion de couple bourgeois, ce n'est pas par avarie mais au contraire par excès d'amour : amour de soi-même, et amour de l'altérité en général. Amour de la vie demandant une plénitude et une pleine disposition de l'individu, plutôt que restriction des possibilités et enfermement dans une routine d'idées et de comportements menant à terme le dépérissement de l'individu : « Tout ce qui crée des rencontres mérite encouragement, même quand il s'agit de rencontres à fin sentimentale, et malgré tout ce qu'elles supposent de niaiserie et de médiocrité ». On retrouve également le cynisme joueur d'un Oscar Wilde dans les piques lancées par Pierre Costals. Lorsque le second écrit : « Chacun de ces restaurants du Blois évoquait pour Costa des souvenirs contradictoires : heures d'ivresse, quand il y était avec une femme qu'il n'avait pas encore possédée, heures d'embêtement mortel, quand il y était avec une femme à lui », on retrouve un peu des idées du premier : « J'aime bien tout savoir de mes nouveaux amis, et rien de mes anciens ».


Pierre Costals et ses Jeunes filles sont des amis aux passions et à l'audace stimulantes, dépassés par les fluctuations de leurs désirs, maintenus par les idées qu'ils brandissent pour se justifier. Henry de Montherlant, brillant manipulateur, sait aussi maintenir son lecteur en haleine en dispersant sa série en plusieurs volumes qu'il faudrait découvrir presque aussitôt…

Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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