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Critique de Cancie


L‘épigraphe signée Jim Fergus, choisie par Yves Montmartin, pour son roman La mauvaise herbe est parfaitement adaptée à l'esprit de celui-ci : « Toutes les religions semblent être organisées au bénéfice du sexe masculin, avec pour conséquence que les femmes sont reléguées au second plan : elles accouchent, élèvent les enfants, s'occupent des corvées. Voilà pourquoi je me méfie des religions. »
Qui est cette mauvaise herbe, qui la traite ainsi et pourquoi ? Telles sont les questions soulevées par l'auteur dans ce roman divisé en quatre saisons qui seront comme des tranches de vie pour notre héroïne Amira, la mauvaise herbe.
Avant d'entrer dans ces quatre périodes, est offert au lecteur un tableau écrit saisissant, dans lequel un père apprend à son enfant à arracher méticuleusement les mauvaises herbes dans les rangées de légumes : « les mauvaises herbes, il faut les déraciner. Une fois que tu as bien supprimé les racines, la plante ne repousse plus, elle est morte à jamais ». Difficile de ne pas saisir la métaphore...
Tout s'annonce bien pour cette petite fille née en Algérie le premier jour du printemps, troisième enfant après deux garçons. Son père Salim est donc comblé et a choisi son prénom : Amira, qui signifie « princesse » en arabe, disant à ses amis « Maintenant que j'ai mes deux rois, je peux accueillir une princesse ». Sa mère Hadjila est une épouse silencieuse et dévouée. Tante Nour, elle, Amira du haut de ses cinq ans, dit qu'elle est leur soleil ! Elle est une Bayra (une périmée) terme employé pour celles qui sont encore célibataires à 35 ans. Elle a toujours refusé les prétendants proposés faisant de ses études sa priorité absolue. Elle est devenue infirmière. Raïssa, la grand-mère d'Amira a d'ailleurs mis en garde plusieurs fois son père de la mauvaise influence qu'elle pourrait introduire dans sa cervelle. Bientôt de nouveaux voisins vont s'installer et Loubna deviendra vite la meilleure amie d'Amira et elles feront leur première rentrée des classes ensemble.
Amira est une enfant pleine d'énergie, un peu casse-cou, éprise de liberté et déterminée à choisir elle-même son mari, le moment venu. Elle n'aura rapidement qu'un seul souhait devenir professeur de français. La suite montrera malheureusement qu'ils et elles sont nombreux à voir en elle la mauvaise herbe...
En racontant le destin tragique de cette enfant algérienne devenue une belle jeune femme pleine d'enthousiasme et d'espoir mais rejointe malgré elle par le poids des traditions culturelles et de la religion, Yves Montmartin, de manière très documentée réussit magistralement à nous faire prendre conscience de la difficulté à s'émanciper de ces chaînes.
En incluant dans le récit, la fête de l'Indépendance ou la fête de l'Aïd el Kebir, l'auteur nous plonge dans la vie même d'Alger sans oublier de nous faire revivre les manifestations de janvier 2011contre notamment la flambée des prix. Sont aussi évoqués lors d'une dégustation de pâtisseries à la terrasse du Milk Bar, l'attentat perpétré par le FLN le 30 septembre 1956 dans ce même café.
Quelques termes arabes glissés çà et là renforcent ce sentiment d'être au plus près d'Amira.
Il dépeint bien également la vie de l'exilé, celui qui doit vivre dans un pays étranger avec ce que cela implique de difficultés et de sentiment d'éloignement de son pays.
Impossible de rester indifférent à cette tragédie finale. Comment est-il possible que les femmes aient pu être reléguées à ces rôles d'enfantement, d'obéissance et de soumission ? Pourquoi, en ces temps dits éclairés, de tels sentiments et de tels préceptes peuvent-ils encore avoir valeur d'écoute ?
C'est un roman que j'ai lu d'une seule traite tant j'ai eu le désir de suivre cette gamine dont la photo magnifique de la couverture exprime au plus près la représentation que je m'en suis faite. Son amitié presque fusionnelle avec Loubna, sa correspondance avec Sofia par pseudo interposés via Scriberio, clin d'oeil à notre site préféré ainsi que son ultime amitié avec Giulia accompagnées par un amour inconditionnel pour la littérature éclairent brillamment ce roman mais ne réussissent cependant pas à faire oublier les violences intolérables et injustifiables commises au nom d'un dieu quel qu'il soit. Il serait temps de mettre fin à cet obscurantisme encore bien contemporain.
Mais soyons optimistes, car on réalise enfin que les mauvaises herbes du jardin possèdent en réalité bien des qualités et que le temps où on les éradiquait tout simplement est révolu !
Je remercie Yves Montmartin pour la découverte de ce roman poignant, ô combien émouvant et inoubliable que je conseille à chacun afin de prendre conscience de cette terrible réalité et également de ce que peut être l'exil.

Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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