La mer sans étoiles

Un livre est toujours une interprétation, le coupé Mirabel. Vous voudriez que cet endroit soit comme il était dans le livre, mais dans le livre ce n'est pas un endroit, c'est juste des mots. L'endroit dans votre imagination est là où vous aimeriez aller, et cet endroit est imaginaire. Ça c'est réel.
(...)
Vous pouvez écrire toutes les pages que vous voulez, les mots ne seront jamais l'endroit lui-même. Et puis de toute façon, c'est ce que c'était, pas ce que c'est.

Lire un roman, finalement, revient plus ou moins à jouer à un jeu où tous les choix ont été faits pour vous à l'avance par quelqu'un qui est bien plus fort que vous à ce jeu précis. (Même s'il regrette parfois que les romans-dont-vous-êtes-le-héros ne reviennent pas à la mode.)

"Jadis, il y a fort longtemps, le Temps tomba amoureux du Destin.
Ce qui, comme on peut l'imaginer, s'avéra problématique. Leur idylle perturbait le cours du temps. Emmêlait les fils de la destinée en nœuds inextricables.
Les étoiles observaient nerveusement les choses depuis les cieux, inquiètes de ce qui pourrait se passer.
Qu'adviendrait-il des jours et des nuits si le Temps devait avoir le cœur brisé ?
Quelles catastrophes risquaient de se produire si le même sort attendait le Destin lui-même ?
Alors les étoiles conspirèrent pour séparer les deux amants. Pendant un moment, elles respirèrent mieux dans le ciel. Le Temps continua à couler comme il l'avait toujours fait, ou peut-être imperceptiblement plus lentement.
Le Destin à tisser les chemins voués à se croiser, bien que peut-être un fil lui échappât çà et là.
Mais au bout d'un moment, le Temps et le Destin finirent par se retrouver.
Dans les cieux, les étoiles soupiraient et papillonnaient. Elles se faisaient du mauvais sang. Elles demandèrent conseil à la lune, qui à son tour convoqua le Parlement des chouettes pour décider de la marche à suivre.
Le Parlement des chouettes se réunit et débattit de la question nuit après nuit. Elles discutaient et délibéraient tandis que le monde dormait autour d'elles, et le monde continuer de tourner, ignorant que des sujets d'une telle importance étaient en discussion pendant son sommeil.
Le Parlement des chouettes en arriva à la conclusion logique que, si le problème venait de la coalition de deux éléments, il fallait en supprimer un. Elles choisirent de conserver celui qu'elles jugeaient le plus important.
Le Parlement des chouettes annonça sa décision aux étoiles qui l'approuvèrent. La lune était contre, mais cette nuit-là était une nuit sans lune et elle ne put émettre son opinion.
La décision fut donc prise, et le Destin fut réduit en lambeaux. Dépecé par des dizaines de becs et de griffes.
Ses cris raisonnèrent jusqu'au plus profond de la terre et jusqu'au plus haut des cieux, mais personne n'osa intervenir, à part une petite souris courageuse, qui se glissa dans la mêlée, se faufilant ni vu ni connu au milieu du sang, des os et des plumes, et réussit à s'emparer du cœur du Destin pour le mettre à l'abri.
Quand la frénésie retomba, il ne restait plus rien du Destin.
La chouette qui avait dévoré les yeux du Destin développa une vue formidable, plus acérée qu'il n'avait jamais été donné à aucune créature mortelle jusque-là. Le Parlement la couronna alors, Roi des chouettes.
Dans les cieux, les étoiles scintillèrent de soulagement, mais la lune était pleine de chagrin.
Et ainsi, le Temps se remet à couler comme il se doit, les événements qui autrefois étaient destinés à se produire sont laissés au hasard à la place, et le Hasard ne tombe jamais amoureux de personne pendant longtemps.
Mais le monde est étrange et les fins n'en sont jamais vraiment, n'en déplaise aux étoiles.
Il arrive, à l'occasion, que le Destin parvienne à se régénérer.
Le Temps, lui attend toujours."

Un cursus lecture, voilà ce qu'il voudrait. Sans dissertations, sans examens, sans commentaires, rien que des lectures.

- Le sens
- Mais qui décide du sens ? se demande Zachary à voix haute.
- Le lecteur. Le joueur. Le public. C'est ce que chacun apporte, même s'il ne fait pas les choix étape par étape, chacun décide de ce que ça signifie pour lui, explique la tricoteuse, qui s'interrompt le temps de rattraper une maille avant de poursuivre. Un jeu ou un livre qui a du sens pour moi peut être ennuyeux à mourir pour toi, et inversement. Un histoire, c'est personnel. ça te parle ou ça ne te parle pas.

-Vous me faites confiance, Ezra ? demande-t-elle.
-Oui, répond Zachary sans prendre vraiment le temps de réfléchir à la question.
-Un jour, je vous rappellerai que vous avez dit ça.
Mirabel plonge la main dans son sac et en sort un objet métallique que Zachary met un moment avant d’identifier comme un revolver. Un tout petit revolver mignon, du genre qu’une femme fatale pourrait coincer dans son porte-jarretelles dans un type d’histoire différent.

Il était une fois une femme qui sculptait des histoires.
Elle les sculptait dans toutes sortes de matériaux. Au début, elle travaillait la neige, la fumée ou les nuages, car leurs récits étaient temporaires, fugaces. Évanouis en quelques instants, visibles et lisibles uniquement par ceux qui passaient par là dans les minutes entre leur confection et leur désintégration, ce qui lui convenait bien. Ça ne laissait pas le temps de chipoter sur les détails ou les imperfections. Les histoires ne duraient pas assez pour être remises en cause, disséquées, critiquées, que ce soit par elle ou par d’autres. Elles étaient, puis elles n’étaient plus.

Au mauvais moment ne veut pas dire sous une mauvaise étoile.

"Sois courageuse, dit-elle. Audacieuse. Effrontée. Reste fidèle à toi même. Toute âme qui en vaut la peine prendra le package comme il est et comme il évoluera. Ne perds pas de temps avec des gens qui ne te croient pas quand tu leur dis ce que tu ressens."

Nous parlons d'une chose importante. Plus importante que ma vie et la vôtre. Vous et moi sommes des notes de bas de page, nous ne manquerons à personne si nous ne faisons pas partie de cette histoire.