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Citations sur Introduction à la pensée complexe (59)

Le sujet est renvoyé, comme perturbation ou bruit, précisément parce qu'il est indescriptible selon les critères de l'objectivisme : « Il n'y a rien dans nos théories présentes de la pensée qui nous permette de distinguer logiquement entre un objet comme une pierre et un sujet comme unité de conscience, lequel nous apparaît seulement comme un pseudo-objet si nous le logeons dans le corps d'un animal ou humain et l'appelons Ego. » Le sujet devient fantôme de l'univers objectif : c'est le « mystérieux X qui défie la description en termes de prédicats applicables à quelque objet contenu dans l'univers ».

Mais chassé de la science, le sujet prend sa revanche dans la morale, la métaphysique, l'idéologie. Idéologiquement, il est le support de l'humanisme, religion de l'homme considéré comme le sujet régnant ou devant régner sur un monde d'objets (à posséder, manipuler, transformer). Moralement, c'est le siège indispensable de toute éthique. Métaphysiquement, c'est la réalité ultime ou première qui renvoie l'objet comme un pâle fantôme ou, au mieux, un lamentable miroir des structures de notre entendement.

De tous ces côtés, glorieusement ou honteusement, implicitement ou ouvertement, le sujet a été transcendantalisé. Exclue du monde objectif, « la subjectivité ou conscience (a été identifiée) avec le concept d'un transcendantal qui arrive de l'Au-delà » (Gunther). Roi de l'univers, hôte de l'univers, le sujet se déploie donc dans le royaume non occupé par la science. À l'élimination positiviste du sujet, répond, à l'autre pôle, l'élimination métaphysique de l'objet ; le monde objectif se dissout dans le sujet qui le pense. Descartes est le premier à avoir fait surgir dans toute sa radicalité cette dualité qui allait marquer l'Occident moderne, posant alternativement l'univers objectif de la res extensa, ouvert à la science, et le cogito subjectif irrésistible, irréductible premier principe de réalité.

Depuis, effectivement, la dualité de l'objet et du sujet se pose en termes de disjonction, de répulsion, d'annulation réciproque. La rencontre entre sujet et objet annule toujours l'un des deux termes : ou bien le sujet devient « bruit » (noise), non-sens, ou bien c'est l'objet, à la limite le monde, qui devient « bruit » : qu'importe le monde « objectif » pour qui entend l'impératif catégorique de la loi morale (Kant), pour qui vit le tremblement existentiel de l'angoisse et de la quête (Kierkegaard). (pp. 55-56)
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On peut voir que systémisme et cybernétique sont comme le premier étage d'une fusée qui permet le démarrage d'un second étage, la théorie de l'auto-organisation, laquelle à son tour met à feu un troisième étage, épistémologique, celui des relations entre le sujet et l'objet.

Dès lors, nous arrivons sans doute au point crucial de la physique et de la métaphysique d'Occident, qui, depuis le xviie siècle, à la fois les fonde l'une et l'autre et les oppose irréductiblement.

En effet, la science occidentale s'est fondée sur l'élimination positiviste du sujet à partir de l'idée que les objets, existant indépendamment du sujet, pouvaient être observés et expliqués en tant que tels. L'idée d'un univers de faits objectifs, purgés de tous jugements de valeurs, de toutes déformations subjectives, grâce à la méthode expérimentale et aux procédures de vérification, a permis le développement prodigieux de la science moderne. Certes, comme le définit très bien Jacques Monod, il s'agit là d'un postulat, c'est-à-dire d'un pari sur la nature du réel et de la connaissance. (pp. 54-55)
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L'organisation vivante, c'est-à-dire l'auto-organisation, est bien au-delà des possibilités actuelles d'appréhension de la cybernétique, de la théorie des systèmes, de la théorie de l'information (bien entendu, du structuralisme...) et même du concept d'organisation lui-même, tel qu'il apparaît à son point le plus avancé, chez Piaget, où il demeure aveugle au petit préfixe récursif « auto » dont l'importance tant phénoménale qu'épistémologique va se révéler pour nous capitale.

C'est ailleurs que le problème de l'auto-organisation émerge : d'une part, à partir de la théorie des automates auto-reproducteurs (self-reproducing automata) et, d'autre part, à partir d'une tentative de théorie méta-cybernétique (self-organizing systems). (p. 42)
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il y eut tout d'abord deux brèches dans le cadre épistémologique de la science classique. La brèche microphysique révéla l'interdépendance du sujet et de l'objet, l'insertion de l'aléa dans la connaissance, la déréification de la notion de matière, l'irruption de la contradiction logique dans la description empirique ; la brèche macro-physique unit en une même entité les concepts jusqu'alors absolument hétérogènes d'espace et de temps et brisa tous nos concepts dès lors qu'ils étaient emportés au-delà de la vitesse lumière. Mais ces deux brèches, pensa-t-on, étaient infiniment loin de notre monde, l'une dans le trop petit, l'autre dans le trop grand. Nous ne voulions pas nous rendre compte que les amarres de notre conception du monde venaient de se briser aux deux infinis, que nous étions, dans notre « bande moyenne », non sur le sol ferme d'une île environnée par l'océan, mais sur un tapis volant.

Il n'y a plus de sol ferme, la « matière » n'est plus la réalité massive élémentaire et simple à laquelle on pouvait réduire la physis. L'espace et le temps ne sont plus des entités absolues et indépendantes. (p. 27)
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Nous vivons sous l'empire des principes de disjonction, de réduction et d'abstraction dont l'ensemble constitue ce que j'appelle le « paradigme de simplification ». Descartes a formulé ce paradigme maître d'Occident, en disjoignant le sujet pensant (ego cogitans) et la chose étendue (res extensa), c'est-à-dire philosophie et science, et en posant comme principe de vérité les idées « claires et distinctes », c'est-à-dire la pensée disjonctive elle-même. Ce paradigme, qui contrôle l'aventure de la pensée occidentale depuis le xviie siècle, a sans doute permis les très grands progrès de la connaissance scientifique et de la réflexion philosophique ; ses conséquences nocives ultimes ne commencent à se révéler qu'au xxe siècle.

Une telle disjonction, raréfiant les communications entre la connaissance scientifique et la réflexion philosophique, devait finalement priver la science de toute possibilité de se connaître, de se réfléchir, et même de se concevoir scientifiquement elle-même (...) la pensée simplifiante est incapable de concevoir la conjonction de l'un et du multiple (uniras multiplex) (...) ainsi, on arrive à l'intelligence aveugle. L'intelligence aveugle détruit les ensembles et les totalités, elle isole tous ses objets de leur environnement. Elle ne peut concevoir le lien inséparable entre l'observateur et la chose observée. Les réalités clés sont désintégrées. Elles passent entre les fentes qui séparent les disciplines. Les disciplines des sciences humaines n'ont plus besoin de la notion d'homme. Et les pédants aveugles en concluent que l'homme n'a pas d'existence, sinon illusoire. Tandis que les media produisent la basse crétinisation, l'Université produit la haute crétinisation. La méthodologie dominante produit un obscurantisme accru, puisqu'il n'y a plus d'association entre les éléments disjoints du savoir, plus de possibilité de les engrammer et de les réfléchir.
(...)
Malheureusement, la vision mutilante et unidimensionnelle, se paie cruellement dans les phénomènes humains : la mutilation tranche dans les chairs, verse le sang, répand la souffrance. L'incapacité de concevoir la complexité de la réalité anthropo-sociale, dans sa micro-dimension (l'être individuel) et dans sa macro-dimension (l'ensemble planétaire de l'humanité), a conduit à d'infinies tragédies et nous conduit à la tragédie suprême. (pp. 18-21)
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Pour être nous-mêmes, il nous faut apprendre un langage, une culture, un savoir, et il faut que cette culture soit assez variée pour que nous puissions nous-mêmes faire le choix dans le stock des idées existantes et réfléchir de façon autonome. (p. 89)
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Un très bon livre d'introduction à la pensée complexe selon Edgard Morin. L'auteur y décrit, de façon plus aisément accessible que dans les 6 volumes de la méthode, les principaux concepts et outils intellectuels de la pensée complexe. Un petit livre à mes yeux essentiel pour qui souhaite réfléchir sur les mécanismes de la pensée occidentale. L'auteur invite notamment à dépasser la pensée cartésienne qui consiste à disjoindre et analyser au profit d’une pensée complexe s’intéressant au contraire à la globalité et aux interactions entre éléments. Une pensée qui nous invite à reconsidérer la manière de penser, d’enseigner, de décider, de concevoir… Bref, un livre qui donne à penser er repenser.
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Enfin, la relation fondamentale entre les systèmes ouverts et l’éco-système étant d’ordre à la fois matériel/énergétique et organisationnel/informationnel, on pourra essayer de comprendre le caractère à la fois déterminé et aléatoire de la relation éco-systémique.
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Ainsi, le concept d’information présente de grandes lacunes et de grandes incertitudes. Cela est une raison, non pour le rejeter, mais pour l’approfondir. Il y a, sous ce concept, une richesse énorme, sous-jacente, qui voudrait prendre forme et corps. Cela est, évidemment, aux antipodes de l’idéologie “informationnelle” qui réifie l’information, la substantialise, en fait une entité de même nature que la matière et l’énergie, en somme fait régresser le concept sur les positions qu’il a pour fonction de dépasser. C’est donc dire que l’information n’est pas un concept-terminus, c’est un concept point de départ. Il ne nous révèle qu’un aspect limité et superficiel d’un phénomène à la fois radical et polyscopique, inséparable de l’organisation.
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