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Critique de Osmanthe


Les chats ne rient pas est le premier roman de Kosuke Mukai, scénariste de films reconnu au Japon. Et c'est une bonne surprise. L'auteur a placé ses personnages dans cet environnement cinématographique qu'il connaît bien : Hayakawa, le narrateur, est lui-même scénariste, et son ex-femme Renko est réalisatrice. Entre eux, comme le fil qui les reliera bien au-delà de leur séparation, leur chat, Son. Renko qui a gardé le chat s'est remariée avec un journaliste, Miyata. Lorsque Son vieillissant tombe gravement malade, elle rappelle Hayakawa pour veiller sur lui en leur absence. Hayakawa ne tarde pas à croiser le mari, un type plutôt compréhensif au bon fond, qui malgré tout est un peu jaloux de voir l'ex de sa femme débarquer. Pourtant, peu à peu, après la méfiance vient l'acceptation et la tolérance entre ces deux hommes qui comprennent l'importance de Son dans le coeur de Renko et dans leur histoire à tous les trois. Jour après jour, on surveille l'état du chat, on partage le dîner. Les souvenirs reviennent à la surface dans l'esprit de Hayakawa. le début de l'amour avec Renko, très vite pourri par une sorte de rivalité d'égo entre deux partenaires qui l'étaient aussi au travail, le désir et la peur de procréer, et finalement l'absence d'enfant après cinq ans de vie commune, comme une blessure indélébile, ses infidélités à lui, pour une hôtesse de bar qui se fichait pas mal de lui, bars tokyoïtes où il n'a que trop pris l'habitude de noyer un mal-être grandissant. Depuis, il a rencontré Mari, patronne de bar, sérieuse, sympa, mais indépendante et préoccupée par le cancer de sa mère qui vit plus au nord dans l'archipel. L'occasion donc pour Hayakawa de repasser le film de sa vie, dont il semble parfois spectateur, un peu dépassé. Mais n'est-ce pas un peu le lot commun, dans la force de l'âge, d'être passé par la naissance de l'amour, le mariage, et bien souvent le divorce ? Miyata lâche du bout des lèvres à Hayakawa qu'il a eu une longue histoire avec une autre femme avant Renko, et qu'il a un grand fils. Et d'ailleurs, le couple Renko-Miyata va-t-il si bien que cela ? A en juger par les silences de Renko interrogée indirectement sur le sujet par Hayakawa, on peut en douter…Chacun des trois protagonistes a ses blessures intérieures, ses doutes, ses failles, et ce chat les rapproche, apaise les tensions, fédère les énergies, relativise les rancoeurs.

Si le début du roman fait craindre une histoire un peu mièvre et feel good autour du gentil chat, l'auteur campe peu à peu son décor, ses personnages, et donne du corps à leurs réflexions et dialogues. C'est bien ici la complexité des relations humaines, et amoureuses qui se trame. L'expérience cinématographique de l'auteur est mise en oeuvre pour camper les scènes, qu'on imagine comme filmées. L'ambiance surtout est à mon sens très japonaise. Les différents quartiers de Tokyo défilent sous nos yeux, ainsi que les bons petits plats nippons. La pudeur et la retenue d'expression toutes japonaises sont bien perceptibles. Et puis ces femmes japonaises qui enfin commencent à vivre leur indépendance, elles qui désormais si souvent à 50 ans n'ont pas enfanté, et sont divorcées ou célibataires…Quant au chat, il est décidément l'animal chéri des japonais, il est l'objet de bien des romans. Ici, il est finalement d'abord un prétexte, un lien et même le ciment qui relie les personnages. L'auteur décrit remarquablement son comportement, notamment dans ses souffrances ultimes. C'est assez bouleversant de réalisme, quand on sait d'expériences répétées que la fin se déroule exactement de cette façon. L'émotion jaillit de ces pages dures, mais sans pathos excessif, le ton est juste, simple. Au passage, nous sommes instruits sur les rites funéraires au Japon (au 49ème jour après la crémation, une cérémonie consiste à porter au caveau familial l'urne funéraire du défunt conservée jusqu'alors chez la famille). Au terme de sa mission un peu tragique, Hayakawa devra tourner des pages de sa vie, et pourra sans doute lui redonner un sens en repartant de zéro.

Un bon premier roman, plus subtile et complexe que prévu, bien écrit, qui nous emmène dans le Tokyo d'aujourd'hui tout en touchant à l'universel, confirmant le talent protéiforme de Kosuke Mukai, désormais aussi un écrivain à suivre.
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