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Critique de Renatan


« Ce livre est le linceul dont je n'ai pu parer ma mère. C'est aussi le bonheur déchirant de la faire revivre, elle qui, jusqu'au bout traquée, voulut nous sauver en déjouant pour nous la sanglante terreur du quotidien. C'est, au seuil de l'horrible génocide, son histoire, c'est notre histoire. »

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« Quand je mourrai, quand vous me verrez morte, il faudra recouvrir mon corps. Personne ne doit voir, il ne faut pas laisser voir le corps d'une mère. C'est vous mes filles qui devez le recouvrir, c'est à vous seules que cela revient… »

Scholastique Mukasonga n'a pas pu recouvrir le corps de sa mère, ses restes ont disparus. On l'a froidement assassinée, démembrée à coup de machettes en avril 1994, lors du génocide des Tutsis au Rwanda. En faisant revivre ses secrets, elle nous livre ici le témoignage touchant de la femme aux pieds nus, Stefania, cette femme courageuse dont la mission première fut de protéger ses enfants. Sachant que le seul asile était de franchir la frontière du Burundi, elle élaborait pour eux des plans d'évasion, des cachettes où se dissimuler, explorant chaque jour le chemin de brousse menant à la frontière. Quelques provisions étaient soigneusement préparées pour la fuite, lorsqu'il serait temps de partir et que la menace serait si grande qu'ils n'auraient pas même le temps de se dire adieu. Car ils partiraient seuls, ses parents ayant choisi de mourir au Rwanda, sur la terre de leur enfance…

Ce récit extrêmement émouvant est marqué au fer rouge par cette période sombre de l'histoire d'un génocide qui a tué plus de 800 000 innocents au nom d'une guerre civile opposant le gouvernement rwandais. Les soldats ont pris les armes, ils ont saccagé, pillé et terrorisé. Ils ont violé des milliers de femmes et laissé derrière elles des images de terreur qui hanteront à jamais le cauchemar des survivantes. Stefania et sa famille ont été déportées à Nyamata, où 50 000 Tutsis ont été assassinés sur la commune. Les « maisons de Tripoli » (cases des déplacés) étaient alignées, Stefania rêvait encore d'y construire l'inzu (sa maison). Les militaires du camp de Gako, établis aux frontières du Burundi, y faisaient irruption à tout moment de la nuit. Sous mes yeux de femme occidentalisée, et au regard de ma sensibilité face aux injustices planétaires et à toutes formes de mépris et de haine, qu'elles passent par les guerres, les génocides, les famines ou les exodes, je n'arriverai jamais à comprendre toute cette violence humaine…

« Et je suis seule avec mes pauvres mots et mes phrases, sur la page du cahier, tissant et retissant le linceul de ton corps absent. »

Dans ce tableau noir de la déportation, des persécutions et de l'exil, Mukasonka a aussi tenu à nous peindre l'Afrique de son enfance, celui des odeurs, des saveurs et des richesses de la savane. Comme une manière de tamiser l'horreur de souvenirs tendres, une sorte de rappel qui s'éveille à la mémoire d'une enfant blessée dans ce qu'elle a de plus fondamental, l'amour à sa mère disparue. Elle partage avec nous les rites et traditions, les vertus des plantes médicinales, l'heure des contes, à la nuit tombée, la moisson, les rires, les chants et les danses. Sous les caféiers, les femmes s'adonnaient à ce précieux rituel du lavage de pieds dans l'herbe fraîche de rosée, goûtant le jus sucré et doux comme le miel du sorgho. Si ce récit est triste, les pages sont parfumées de l'odeur du manioc, des haricots fraîchement cueillis, des patates douces, des bananiers et des calebasses de bière. Au village, les mères venaient chaque jour rendre visite à Stefania, une marieuse réputée qui trouvait un homme à leurs filles. Elle était respectée de tous.

Ce récit est un vibrant hommage à cette mère, Stefania, et à toutes les femmes du Rwanda. Dans la brousse hostile, aucune guerre ne sera jamais arrivée à détruire en elles leur courage, leur instinct de survie, leur fierté, l'entraide et la solidarité. Ces femmes sont un modèle. Je n'oublierai jamais leur histoire…

«Le Rwanda aujourd'hui, c'est le pays des Mères-Courage»

Je dédie cette lecture à A-M Habyalimana, femme-courage et amie de toujours. À son père et son frère Jean-Luc qui ont trouvé la mort durant le génocide.
Lien : http://www.lamarreedesmots.c..
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