AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de bdelhausse


J'ai connu des thrillers plus faciles à lire... Non pas que l'intrigue soit complexe. Non, finalement, elle est plutôt simple. J'y reviendrai. Mais le style d'Antonio Munoz Molina est riche, très riche, et c'est parfois déstabilisant. Je dirai qu'il y a des moments propices pour un tel style. de longues phrases, à la ponctuation sans faille, où les adjectifs et les verbes ricochent et se complètent. On sent le désir de l'auteur de sélectionner le mot qu'il faut. Rien n'est laissé au hasard (et dans l'intrigue non plus). Cela dit, ce style cadre parfaitement (et c'est forcément intentionnel) avec l'ambiance qui se dégage du roman. Ce style participe à la mise en place de l'atmosphère oppressante qui s'abat comme une chappe de plomb sur le lecteur.

Si vous aimez les styles précis, pointus, réglés au cordeau.... ce roman est pour vous. Si vous aimez lire des romans offerts à l'achat de 2 boîtes de kleenex... passez votre chemin.

Atmosphère, atmosphère, donc. le roman est principalement nocturne. Si je me repenche sur les événements du roman, je ne vois que du noir... et pour cause ! L'explication arrive à point nommé, mais chut...

Darman est un commerçant en manuscrit et documents anciens. Il vit en Angleterre, mais il est Espagnol. Il était, il est toujours, capitaine dans l'armé républicaine. Antifranquiste convaincu, il est auréolé d'une aura de héros. Tueur à gages pour le réseau, lors d'escales multiples entre Londres, Florence, Milan... il est mandaté pour tuer un homme qu'il n'a jamais vu. Il doit se rendre à Madrid pour rencontrer Andrade et le tuer en lui faisant croire qu'il a des faux papiers pour lui. le réseau est convaincu qu'Andrade est le traître, il vient de s'échapper trop facilement lors d'un transfert de prisonniers.

Madrid évoque pour Darman un lointain passé, où il a tué Walter, un compagnon d'armes qui avait changé de camp, où il avait rencontré Rebeca Osorio qui écrivait des romans de gare dans lesquels elle distillait -à la demande de Walter- des indications pour le réseau. Rebeca était la maîtresse de Walter et de Valdivia, un autre compagnon abattu.

Une fois à Madrid, les fantômes du passé vont s'immiscer dans la mémoire de Darman. Il va retrouver des lieux, des sensations, des ambiances qui le ramèneront 20 ans en arrière. La mémoire est un thème récurrent chez Munoz Molina. Darman va alors évoluer entre culpabilité et désir charnel. D'autant plus facilement qu'il croisera une Rebeca Osorio âgée de 20 ans, qui ressemble à celle qu'il a connue du temps de Walter.

Le récit est raconté par Darman. Dès lors, habilement Munoz Molina va instiller chez le lecteur l'idée que Darman sombre dans une certaine folie, et que ce que le lecteur lit n'est pas la réalité, mais le fruit d'un filtre que Darman surimpose au récit.

On pense à Chandler, évidemment. Ces faux-semblants, ces pièges, ces confrontations entre ennemis qui se croisent et se jaugent... On pense aussi à Kafka ou Lem, à Brazil, et même à toute la veine de fantastique espagnol, de Borges à Bunuel. Mais au final, on a bien un polar noir entre les mains.

En ce qui me concerne, il y a toujours un moment charnière où la lecture devient plus fluide, rapide, tendue, nerveuse, quand j'ai passé le cap du style de l'auteur... le roman s'emballe pour moi vers la page 170 (sur 233...) quand on distingue le dénouement final (plus ou moins) et qu'on sait que l'on a un polar entre les doigts.

A maintes reprises, j'ai relu des phrases, pour en ressentir les effets. Pour plonger, m'immerger dans la froide et gluante épaisseur des mots, pour en ressentir les vapeurs méphitiques et malsaines. Par exemple...

"L'excitation et la honte se consommaient devant moi, au rythme fébrile du bongo qui paraissait frapper la jeune fille comme un boxeur épuisé, la disloquer, la jeter à genoux par terre, lui imposer méthodiquement les mouvements syncopés d'une danse où elle se dénudait comme si elle s'arrachait des lambeaux d'elle-même, des gants interminables, l'un après l'autre, les bretelles de la robe, le satin noir qui descendit jusqu'à sa taille avant de tomber à ses pieds comme une matière liquide et luisante, comme une flaque de mercure d'où elle émergea, nue, le visage baissé et dissimulé sous ses cheveux, les mains croisées sur son ventre, haletante de rancoeur plus que de fatigue, s'évanouissant l'instant d'après dans les ténèbres et le silence comme un éclair fulgurant. (p.99)
Commenter  J’apprécie          120



Ont apprécié cette critique (12)voir plus




{* *}