En voyant la 1re de couv. et le titre de ce livre sur le présentoir du libraire, et sans connaître encore le contenu et le message de ce livre, je n'ai pu m'empêcher immédiatement de penser à la chanson d'
Arthur H,
« La caissière du super » ! Et dans ma tête résonnaient ces paroles :
« La caissière/Elle est vraiment superbe/La caissière du super/Elle est vraiment superbe ».
Et puis « Les cameras ne se lassent pas/D'enregistrer les petits travers/De la caissière du super/Les petits chefs ne se lassent pas/De critiquer les petits travers/De la caissière du super » …
Et finalement, maintenant que j'ai lu ce roman, je me dis que le parallèle que je faisais alors n'était pas si mal !
Mais en pénétrant pas à pas dans la lecture de ce livre, j'ai vite compris que le sujet de la « Fille de la supérette » était moins gai que le rythme entrainant de la chanson et qu'il amenait à des réflexions bien profondes sur le sens même de l'existence, au sein de la société nipponne, mais pas que…
L'autrice,
Sayaka Murata, a elle-même travaillé dans une supérette, tout comme l'héroïne de son roman. Son livre a reçu le prix
Akutagawa, l'équivalent japonais du Goncourt et a été vendu à plus d'un million d'exemplaires. Dans ce roman, Keiko, la fille de la supérette, - plus exactement du « konbini », comme on appelle ces petits magasins ouverts de jour comme de nuit au Japon –
est vendeuse/caissière à mi-temps. On la suit au travail. Elle fait preuve d'un véritable professionnalisme. C'est une employée modèle, digne de confiance.
Au début, on fait un retour en arrière dans sa vie, avec ses souvenirs d'enfance. Pour son entourage, elle est une enfant un peu étrange, qui agit facilement sur des coups de tête, ce qui lui vaut des remontrances, de la part de ses enseignants et de ses parents. Ses actions et ses réactions n'étaient
« pas dans la norme », apparemment, et elles choquaient… Si bien que, dès son entrée au lycée, elle devient mutique… Ses parents s'inquiètent alors, la trouvant asociable.
Puis on la retrouve en 1re année de fac. Un nouveau SmileMart (un konbini) vient d'être inauguré, et c'est pour elle l'opportunité d'accéder à un petit boulot… Après un simple entretien, elle est embauchée. Elle a l'impression d'être enfin devenue un membre normal de la société. Ce job lui sied si bien qu'elle ressent un grand bien-être au fond d'elle-même ! Son lieu de travail, c'est son petit cocon. Elle est en bonne compagnie avec ses collègues. Elle aime sentir la sécurité, la stabilité.
En fait, elle se complait dans une routine quotidienne…
Pendant ses jours de congés, elle retrouve d'anciennes camarades de classe. C'est son seul lien avec le monde extérieur à la supérette. Ce sont des moments précieux pour elle, qui lui permettent d'être en présence de personnes « normales », et non formatées comme elle et ses collègues de travail.
Mais ses anciennes camarades trouvent pour le moins anormal que Keiko, à trente-six ans, soit encore célibataire et qu'elle travaille encore et toujours dans ce même konbini, depuis maintenant dix-huit ans ! Elle est la seule du groupe à n'être ni mariée, ni salariée à temps plein ! Elle s'est enfermée dans cette sorte de confort, elle est devenue comme un automate…
C'est alors qu'un jour, le manager de la supérette annonce à Keiko qu'un nouvel employé a suivi une formation, qu'il va commencer son travail dès le lendemain et qu'il compte sur elle pour chapeauter le jeune nouveau !
Une nouvelle recrue qui va donner bien du fil à retordre à tout le monde et évidemment principalement à Keiko !
Shiraha est un jeune garçon tout à fait nonchalant, pas du tout impliqué dans son travail, dont la conduite va devenir totalement inacceptable au point que le gérant doit le congédier.
Dans le konbini, les jours se suivent et se ressemblent de façon immuable, avec les sempiternels briefings du matin, les phrases apprises par coeur pour accueillir la clientèle…
Bref, après la mise à la porte du jeune garçon, Keiko se questionne… que ferait-elle si elle-même ne pouvait plus travailler à la supérette ?
Elle se sent la bête curieuse, en société. Elle a même trouvé une excuse toute prête au cas où on lui rebat encore les oreilles avec son célibat à son âge et son travail à mi-temps au konbini !
Puis soudain, un soir, Shiraha réapparaît à l'extérieur devant la supérette. Keiko le voit en train d'épier une cliente habituelle, dont il s'est semble-t-il épris…
Shiraha, à trente-cinq ans, n'a eu jusqu'ici que des petits boulots sans avenir, et n'a encore jamais eu de relations amoureuses. Il n'en peut plus d'être toujours critiqué au sujet de son célibat. Il veut à tout prix se trouver une femme.
« Pour la société, un individu qui n'est ni marié, ni salarié, n'a aucune valeur. Il n'est bon qu'à être banni de la communauté. »
Dans ce roman, Keiko et Shiraha apparaissent comme deux trentenaires assez semblables, au vu de leurs problèmes. Mais Shiraha, lui, est frustré, alors que Keiko ne l'est pas !
Et cette différence-là est assez essentielle !
Mais qu'adviendra-t-il de leurs vies ?
Je ne vais pas vous en dévoiler davantage…
« La fille de la supérette » est un très bon livre qui remue,
et qui sent le vécu !
Sayaka Murata a continué de travailler dans sa petite supérette pendant plusieurs mois avant de prendre finalement la décision de se consacrer à l'écriture !
Un beau roman psychologique, sensible, qui donne à réfléchir sur le sens de la vie, sur les valeurs du travail, sur le formatage des individus qu'impose la société et ses dangereuses dérives…
« Les êtres inutiles à la communauté sont persécutés et bannis. »
« Si on enfile la peau d'une personne normale et qu'on applique les règles
du manuel, la communauté nous laissera en paix. »
En refermant ce livre, on a envie de scander haut et fort : « Vive l'anticonformisme ! », « Vive l'anormalité », « Vive l'opposition aux usages qu'établit la société formatée » !