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Critique de afriqueah



D'abord la couverture est charmante, des aquarelles de fleurs, des flamants roses sur fond noir, avec le titre écrit comme sur un parchemin déployé, le tout avec un graphisme moderne élaboré par l'artiste Michelle Morin.
Le livre aussi est charmant au début : orphelin, né en 1583 au Kongo (empire recouvrant le Nord de l'Angola, le Gabon et les Congos), il entend depuis tout petit les légendes de ses ancêtres femmes qui ont fui l'injustice, qui ont fondé une dynastie basée sur la paix, la prospérité des sols, la solidarité et la connaissance des esprits, de la magie et du divin. Une communauté d'amour, en somme. Comme un conte, ou un rêve, ou une utopie, mais peu importe, cela baigne l'enfance de ce petit, né dans un monde idéal imprégné du souvenir de ces glorieuses héroïnes. Monde idéal qui se réalise avec sa foi, son état de prêtre catholique, et l'appel qui lui est fait d'aller rejoindre le roi Alvaro II dans sa capitale Luanda.

Les relations diplomatiques renouées à l'autre bout du monde entre Henri IV, qui s'est une fois de plus converti au catholicisme et le pape Clément VIII amènent ce dernier (qui entre parenthèses a ordonné que Giordano Bruno soit brulé vif et la langue clouée.) à demander au souverain français de convoyer l'ecclésiastique africain jusqu'à Rome. Ce que veut le pape, c'est rabattre le caquet du roi d'Espagne et Portugal en s'alliant avec leur ennemi français.

Or il se trouve que le Portugal, en cabotant le long des côtes d'Afrique, et en découvrant le Brésil, « invente » l'esclavage à grande échelle : les indiens n'étant pas très costauds, apporter depuis l'Afrique de la main d'oeuvre gratuite fera l'avenir des champs de cannes à sucre. le pape veut il avoir sa part des richesses nées du trafic des êtres humains ? Presque sûr.
Le roi Alvaro II du Kongo veut il comme il le prétend se repentir de s'être enrichi en profitant de la main mise des Portugais et mettre au courant le pape sur l'existence de l'esclavage ? Pas sûr non plus, il veut jouer contre les Portugais. Entre les deux, un « ambassadeur » ingénu, notre héros, celui qu'on aime, celui qui comprend au fil des années qu'il a été trahi par tous, celui qui ne remet pas en cause sa profonde espérance en l'humanité.

Non seulement Wilfried N' Sondé rapporte cette histoire vraie, mais il fait parler, après s'être tue durant 500 ans, sa statue de marbre noir qui est toujours visible à Rome dans l'église Sainte Marie Majeure. Celui qui doit abandonner son village pour devenir ambassadeur devant plaider auprès de Clément VIII la fin de l'esclavage, se retrouve sur un bateau esclavagiste. Horrifié, il voit les tortures, les humiliations, de ces otages enchainés et entassés dans la cale.

Réflexion : comment cela a t il pu se produire ? Au Kongo, N'Sondé dit qu'il était assez fréquent que des êtres humains utiles pour les cultures et appartenant donc au cultivateur lui soient offerts. Juste comme un changement de famille. Sans doute mieux lotis que les serfs du Moyen Age à peine terminé en Europe, mais pas sûr non plus. Mais ce don avec l'arrivée des Portugais se transforme en vrai esclavage sans les chaines et sans l'arrachement au pays, mais déjà rapport de force et d'argent, comme si les Portugais avec leurs richesses matérielles avaient fait ressortir le plus mauvais côté des Bakongos. le tort de ceux ci a été de laisser faire, et de donner libre court au mépris, à l'avidité et au désir de pouvoir. Des razzias commencent, des rapts de villageois, finie la tranquille vie champêtre des commencements du monde. Pour justifier le tout, le concept de race inférieure se répand.
Je salue l'équité de Wilfried N'Sondé, qui reconnaît les torts de ses ancêtres, tout en n'épargnant aucun détail sur l'horreur de cet exode forcé de près de 12 millions d'hommes.

Il y a tout, dans ce livre :
-Les pages en caractère penché reprenant les arcanes diplomatiques entre Espagne, France et Rome, le rôle joué par Alger et ses pirates, corsaires et mercenaires, nés de l'exclusion des musulmans d'Espagne.
-Le récit de ce prêtre africain pour qui la croyance ancestrale aux esprits, à qui il verse des libations, et la foi catholique des origines, se mêlent avec bonheur, car c'est du bonheur dont il est question.
-Le style, lyrique quand il évoque son pays, petite approche du paradis, sec et coupé quand il décrit les infamies des matelots sur le bateau rempli d'esclaves et aussi les tortures de l'Inquisition des geôles de Tolède.
-Et la réflexion sur le fanatisme et la foi. le fanatisme est une imposture, dit il, la foi peut connaître des moments de doute, ce qui revigore la ferveur. Pour notre Candide africain, c'est la croyance en un au-delà, une relation entre les vivants et les morts, ces derniers guidant parfois les premiers et sûrement pas une étiquette adoptée une fois pour toutes : je crois en ….

Il aura fallu plusieurs années à Nsaku Na Vunda, la traversée de l'Atlantique, de la Méditerranée (je me trompe ou pas, seulement une mer, pas deux) et passer dans trois continents , pour arriver agonisant devant le nouveau pape , Paul V. Qui, bouleversé par la figure illuminée de ce voyageur, le fait ensevelir sous la basilique Sainte Marie Majeure. Cela ne l'empêchera pas de laisser condamner Copernic un peu après.
On pleure, en lisant ce livre, on se réjouit aussi de ce destin, et on applaudit l'auteur, son érudition, son écriture remarquable, sa poésie, son évocation d'une Afrique pacifique et heureuse, la mémoire rendue aux suppliciés et opprimés, et sa voix porteuse d'amour et d'espoir, comme la fleur de lotus qui pousse dans la fange. Tiens, on reparle de la couverture admirable elle aussi. le rose sur le noir.
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