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EAN : 9782330098506
272 pages
Actes Sud (03/01/2018)
4.03/5   290 notes
Résumé :
Il s'appelle Nsaku Ne Vunda, il est né vers 1583 sur les rives du fleuve Kongo. Orphelin élevé dans le respect des ancêtres et des traditions, éduqué par les missionnaires, baptisé Dom Antonio Manuel le jour de son ordination, le voici, au tout début du XVIIe siècle, chargé par le roi des Bakongos de devenir son ambassadeur auprès du pape. En faisant ses adieux à son Kongo natal, le jeune prêtre ignore que le long voyage censé le mener à Rome va passer par le Nouvea... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (89) Voir plus Ajouter une critique
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QUAND ON N'A QUE L'AMOUR POUR UNIQUE RAISON...

Mais qu'était-il parti faire sur cette galère...? C'est, la causticité en moins, ce qu'avait dû songer feu Dom Antonio Manuel, né Nsaku Ne Vunda au Royaume du Kongo et premier enfant du continent dit noir à être envoyé en ambassade officielle auprès du Saint Père de Rome, lequel est alors Paul V. Nous sommes en janvier 1608 et ce bon père originaire du peuple des bakongos, qui vient de vivre trois années d'infamie, de drames, de dérélictions diverses, trois années d'un véritable chemin de croix spirituel, physique, mental et humain, va enfin être reçu par le Pape pour accomplir la mission qu'il s'est à lui-même confiée - assez éloignée de ce que son Roi lui avait mandé au départ -, non pour lui, mais pour tous ces déshérités, ces malheureux, ces hommes de tellement rien qu'on les vend comme des choses, que leur vie ne vaut guère plus que le dernier des objets, pour tous ceux à qui, il lui semble, s'était adressé son Sauveur...

Mais remontons rapidement le cours de cette stupéfiante et terrible histoire : Nsaku Ne Vunda naquit, bientôt orphelin, vers 1583 sur les rives du fleuve Kongo dans l'actuel Angola. Ses parents adoptifs reconnaissant en lui un enfant d'une grande maturité et, déjà, d'une grande sagesse, souhaitèrent qu'il apprenne à lire et à écrire auprès des missionnaires blancs : le destin était en marche. Devenant prêtre - le premier prêtre noir ordonné sans être de famille noble et sans avoir fait son séminaire au Portugal, la puissance occidentale alors "tutélaire" de ce grand territoire africain. Trop populaire, trop inaccessible aux délices du temps, presque déjà trop "saint", trop en décalage sans doute avec les affaires (sordides) du moment, c'est donc à lui que fut confiée, possiblement pour l'éloigner de sa paroisse et de ses ouailles qui ne l'aimaient aussi que trop, la très honorifique mais très pesante charge de représenter le Roi des Bakongos Alvare II, descendant direct du premier roi catholique d'Afrique de l'ouest converti par les européens. L'idée d'alors était d'émanciper le Kongo de la tutelle de plus en plus pesante et délétère du Portugal alors lui-même vassal, de facto, du Royaume d'Espagne - principalement en raison de la traite négrière et des prémices de ce que l'on nommerait plus tard, le "commerce" triangulaire -. Mais ce que va vivre notre jeune prêtre, pour ainsi dire dès les premiers instants avant l'embarquement sur un navire français répondant au nom de Vent Paraclet, commandé par Louis de Mayenne, tout à la fois sévère capitaine et homme d'affaire dénué de toute morale (comment pourrait-il en être autrement ?), c'est ni plus ni moins un aller simple vers l'enfer ! Car, bien entendu, le navire qui doit le mener dans un premier temps à Lisbonne a pour destination première le nouveau monde - plus précisément le Brésil - afin d'y vendre, au prix le plus fort possible, cette cargaison terrifiante qu'un euphémisme abject désignera dans les siècles à venir de "bois d'ébène" : des esclaves, hommes, femmes et enfants !
On peut imaginer ce que ce jeune missionnaire, un représentant de la foi qui prétend être celle de l'amour entre les hommes et qui n'a jamais été confronté directement à cette honte de l'humanité bien qu'en connaissant l'existence, a pu ressentir des mois durant à voir ses propres frères et soeurs, des représentants de son peuple ou des peuples environnants, ayant même couleur de peau - tandis que les blancs du navire montrent à chaque instant combien ils ne font aucun cas de ce que des Senghor ou des Césaire appelleront plus tard, par provocation et amour tout à la fois, la "négritude", ce qui, bien entendu, englobe ce pasteur qui ne mérite qu'à sa soutane de ne point être lui même enfermé, enchaîné et psychologiquement rompu. Ce sentiment terrible de ne pouvoir rien faire pour sauver ses semblables que le goût du lucre a ravalé au rang de simple - mais précieuse - marchandise. Ainsi les esclaves sont-ils tout à la fois incroyablement maltraités, rabaissés, entreposés comme bêtes que l'on mènerait à l'abattoir, de manière à les briser pour jamais, mais tout aussi invraisemblablement mieux nourris que les simples marins, eux-mêmes plus ou moins esclaves de leurs maîtres galonnés, interchangeables, pour ainsi dire superflus lorsque se dressent enfin à l'horizon les côtes brésiliennes : Les matelots coûtent forcément cher, trop cher ! Aussi, s'il en meurt en route (de maladie, de malnutrition, par accident, mauvais traitements ou punition), c'est autant de moins à payer, tandis que les esclaves rapportent, alors, si l'on doit absolument en faire de serviles machines à travailler, il faut absolument qu'ils parviennent de l'autre côté de l'océan en bon état, en perdre le moins possible en mer, en prévision du jour où sera enfin temps de les vendre : l'abjection se niche absolument partout sur de tels navires, y compris dans les résolutions qui paraissent les moins mauvaises...
Le chemin de retour sera à peine plus tranquille, le Vent Paraclet se faisant arraisonner par un pirate hollandais convertit à l'Islam et oeuvrant pour le Raïs d'Alger, bien qu'en réalité commandité par la papauté qui se méfiait de ce capitaine français ayant ses entrées à la cour du trop rapidement convertit Roi de France, Henri IV dit "Le Grand". Exit Louis de Mayenne, donc, et le reste de son équipage : seul Dom Antonio Manuel ainsi qu'un jeune matelot qu'il avait pris en amitié survivront au massacre. Après moult autres péripéties, nos deux compères débarqueront à proximité de Lisbonne. le prêtre trouvera refuge auprès de ceux de sa congrégation mais devra se séparer de son jeune ami... Qu'il retrouvera très vite puisqu'ils décideront de rejoindre l'Espagne afin d'y embarquer vers l'Italie. Hélas, rien ne pouvant se dérouler comme escompté dans cette odyssée, la Sainte Inquisition viendra freiner pour un long moment leur progression, Dom Antonio Manuel se retrouvant même iniquement enfermé dans les geôles de cette institution ignominieuse en raison d'accusations toutes plus improbables et injustes les unes que les autres. Fort heureusement la situation ignominieuse dans laquelle survit le prêtre va être connue du nonce puis du pape - est-ce lié à une ultime intervention du compagnon d'infortune de notre ami bakongo, qu avait réussit à échapper aux fourche caudines de l'inquisition ? Nul ne le saura jamais puisque nous en perdons alors toute trace -, et il sera enfin délivré pour enfin se rendre jusqu'à la ville éternelle, but ultime et que l'on a pu croire un temps inapprochable pour une unique entrevue officielle, et quelle!, avec le représentant du Dieu des Chrétiens sur cette terre. Mais fut-il compris, entendu...?

N'y aurait-il eu que le rythme fou - bien que supportant un grand nombre de pauses qui entremêlent réflexions, expositions diverses, descriptions aussi difficilement supportables qu'absolument essentielles - de cette étonnante histoire que ce livre eût déjà été passionnant. Mais plusieurs éléments, de forme comme de fond, le mettent encore un cran au-dessus de ce qui aurait pu être un déjà excellent ouvrage. Il y a d'abord cette narration, intemporelle et posthume, sous forme de confession à la première personne mais où le narrateur se met de lui-même très souvent en retrait de ce qu'il conte, et qui donne du poids - celui de l'expérience vécue, de la chose vue - à l'ensemble. Il y a, ensuite, ce style, d'une grande élégance, poétique parfois, sensible toujours, précis comme une piqûre dès que c'est indispensable, qui sait se faire vif et rythmé tout aussi bien que lent et majestueux comme on imagine que doit l'être ce fleuve Congo qui baigne les souvenirs du jeune prêtre. Une écriture qui sait aussi, sans aucun mal mais sans excès faciles ni voyeurisme outré, décrire toute l'horreur, toutes les horreurs que l'infortuné héros de ce beau récit décrit sans fard, sans artifices mais avec un profond dégoût, tant de ce qu'il est bien forcé de contempler que du dégoût qu'il a à le vivre sans pouvoir y rien changer. Ce style est riche de mille nuances, riche de mille circonvolutions, riche d'un phrasé tout à la fois simple et savant qui, à lui seul, pourrait faire de Un océan, deux mers, trois continents une belle prouesse dans le monde de la littérature francophone contemporaine, peut-être plus encore de celle strictement française, aux exigences d'écriture souvent médiocres lorsqu'elle n'est pas calamiteuses, qui nous échappent plus souvent qu'à notre tour... Mais le dernier enfant de Wilfried N'Sondé est bien plus que la rencontre entre une histoire et une écriture : d'abord, elle transcende les genres, car qui ne peut y voir un roman d'aventure tout autant qu'un roman d'apprentissage - on lit ici et là qu'il y est question d'un genre de Candide africain, et ce n'est pas non plus erroné - , un roman de vie à nulle autre pareille - et tant pis si cette biographie tient au moins autant de l'invention pure que de la stricte vérité biographique* ? -, un autre aspect de ce texte presque trop court - tant il est haletant, tant on peine à abandonner cet homme aux calamités de son siècle - est qu'il ravira le passionné de récit maritime aussi bien que le féru d'histoire de cette période aussi étrange à nos yeux contemporains que souventefois monstrueuse de ce que l'on appellera "la contre-réforme". Enfin (peut-être ?), une histoire d'amitié d'un intensité rare et d'une douceur presque cruelle tant le lecteur ne cesse d'être bousculé dans ce qu'il est pourtant convaincu d'être en droit de penser ! Ensuite, elle ne cesse d'interroger l'homme et son humanité, l'homme et ses racines, l'homme et ses croyances, par petites touches, presque d'une manière impressionniste, mais l'effet qui en résulte demeure au plus profond de la mémoire bien des jours après avoir refermé l'ouvrage. Enfin, cette histoire est - pardon d'user d'un mot qu'i n'a plus tant que cela bonne presse en nos temps de rationalisme désincarné, de scientisme absolu et triste, cette histoire, donc, procède de la magie !

Magique, oui ! Ce qui l'est strictement - car il s'agit bien ici de magie, blanche, et que l'on nous pardonne si le jeu de mot non voulu pourrait passer pour déplacé, mais qu'il faut prendre seulement dans le sens où c'est de la belle et bonne magie que Wilfried N'Sondé pratique avec grande et juste sapience - c'est que d'autres moins adroits, moins amoureux se serait échoués sur bien des écueils à vouloir trop en faire. Car oui : il en faut de l'Amour pour écrire un tel ouvrage, sans quoi c'est de la haine qui aurait pourrait y naître et, à la toute fin, l'amoindrir, même si la haine eût pu être compréhensible, tant la faute des hommes s'avère à ce point lourde, irrémissible -. Bien que, pour autant, rien ne soit passé sous silence de la monstruosité des hommes contre leurs semblables : des africains qui, contre vil prix, vendirent leurs ennemis puis, par goût du lucre, des représentants de basse caste de leur propre peuple aux blancs dominateurs. Les européens, bien évidemment - hélas, combien de fois hélas ? -, firent commerce de ces pauvres hères transportés dans des conditions infamantes, rompus, cassé, déformés jusqu'au plus profond de leurs âmes, revendus avec bénéfices sonnants et trébuchants de l'autre côté de l'Atlantique, chosifiés, marchandisés, mécanisés - il n'est point cas ici de ceux qui, en bout de course, exploitèrent ces malheureux, mais leur quasi absence pèse presque autant que si l'auteur les avait décrit directement. Il y a cette folie des hommes et de leurs prétendues absolues vérités qui ne sont que Peur, Violence, Refus de l'altérité et que notre bon Père ainsi que son lumineux ami n'auront de cesse de croiser, tant à la cour du Roi des Bakongos que sur le navire négrier ou au Portugal et plus encore en cette Espagne d'un siècle d'Or en voie d'achèvement mais qui sombre de plus en plus dans toute la douleur ignominieuse de la fameuse "Sainte Inquisition". Il n'est jusqu'à Rome et à ses faux semblants, son théâtre d'ombres, de mauvais bougres et d'hypocrites que notre narrateur ne nous aide à percevoir avec sa cruauté tendre et (faussement) innocente.

Il y aurait sans aucun doute encore beaucoup à dire sur ce roman - ce très grand roman au souffle impérieux et empli d'Amour primordial - qui est une des magnifiques surprises de ce début d'année. Qu'il est humain comme rarement. Qu'il allie le conte et la réalité, la légende (on ne peut se remémorer ces pages lues sans repenser au mythe fondateur du Royaume du Kongo, qui est d'une finesse et d'une fraîcheur renversantes) et L Histoire, l'amertume et l'espoir, qu'il est magique et spirituel, bien qu'il mette sans cesse en garde contre tous les dogmatismes, contre toutes les vérités supposément établies, contre tous les jeux de pouvoirs des êtres sur leurs semblables, que ce soit par la foi ou par la force... quand ce n'est pas les deux tout ensemble ! Un livre beau, assurément. Fort, sans concession, mais sans rancoeur inopérante et clivante. Un livre que l'on se dit heureux d'avoir découvert un peu par hasard, un jour de festival du livre, à Binic, par temps de pluie et de dent à quelques encablures de St Brieuc. Un livre qu'on a, assurément, autant besoin qu'envie de partager ! Merci à vous, M. Wilfried N'Sondé.



* La vie du "vrai" Nsaku Ne Vunda, que l'on peut trouver assez aisément sur le net, est tout aussi incroyable et tout aussi tragique que celle du jeune prêtre décrit dans le roman. Mais avouons que l'auteur de ce livre a pris plus d'une liberté d'avec la vie véritable - pour ce qu'on en connait - de ce premier ambassadeur venu d'Afrique noire. Mais, pour plagier ce cher bon Alexandre Dumas, qu'importe que l'on déforme L Histoire pourvu qu'on lui fasse de beaux enfants. Et le rejeton est de toute première force !
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Voici un roman historique, l'histoire vraie de Nsaku Ne Vunda, né vers 1583, sur les rives du fleuve Kongo .
Orphelin et éduqué par les missionnaires , baptisé Dom Antonio-Manuel lors de son ordination, effectuant un travail local auprès des plus démunis , à l'écoute d'une population déboussolée et terrorisée, il fut chargé par le roi des Bakongos, Alvaro ÏÏ,au tout début du 17° siécle de devenir son ambassadeur auprès du pape Clément VIII au Vatican ...
Il serait la voix des Bakongos dans la lointaine Europe, en quelque sorte le trait d'union de son peuple, afin de traiter sur un pied d'égalité avec les nations européennes restées fidèles au catholicisme .
Animé d'une énergie intarissable, sérieux et cultivé , connaissant le latin , le portugais et le français, vigoureux et endurant, c'est la destinée de ce personnage compassionnel doté d'une foi en Dieu inextinguible , toujours accompagné de sa bible et son crucifix que l'auteur conte.
Sa tâche sera longue, ardue et périlleuse .
Le roi l'a choisi car il est totalement étranger à la corruption et aux intrigues qui gangrenaient les conversations dans les couloirs de son palais à Manza Kongo .......
Las ! Ce candide Africain va connaître au cours de sa traversée à bord du vent Paraclet la pire des horreurs , en découvrant dans la cale des colonnes d'esclaves enchaînés au fer rouge , des femmes, des enfants, des hommes débarqués au Brésil........il va passer par le Nouveau Monde .
Des déconvenues, des péripéties, des épreuves infiniment douloureuses vont mettre à mal sa foi en l'homme et en Dieu !
Loin de sa terre natale il vivra la plus extraordinaire des aventures parmi les paysages et les hommes !
L'auteur nous entraîne dans un voyage dur, tragique , tumultueux , qu'il peuple des souffrances inouïes de cette époque. IL dresse un portrait implacable des conditions de vie de mise en esclavage .......
Roman d'aventures ? Roman historique ? Roman de formation?d'apprentissage ? L'auteur signe un magnifique plaidoyer qui exalte les vertus de la tolérance , de la fraternité, de l'égalité ......
Il y met une ardeur poétique et imagée, à l'aide d'une écriture flamboyante et chaleureuse , ciselée et colorée, lyrique .
Cet ouvrage qui mêle réflexion et aventure , histoire, intemporel et universel a des résonances contemporaines !
C'est ce qui fait sa force .
Mais ce n'est que mon avis, bien sûr .
Merci à Marie , ma fidèle libraire de la taverne du livre à Nancy !
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J'ai lu quelque part que ce livre est une "ode à l'humanité". C'est vrai que le personnage central est empathique, mené par l'amour de son prochain.... Par contre il ne va pas rencontrer beaucoup d'"humanité" malheureusement.
Ce livre est un plaidoyer centré autour d'un personnage réel. Nsaku Ne Vunda devenu Dom Antonio Manuel, prêtre, va être envoyé par le roi du Kongo en tant que diplomate auprès du Saint-Siège. Nous sommes au début du 17e siècle. Parti de Luanda en Afrique, il voguera vers le Nouveau Monde (le Brésil) sur un bateau négrier. le récit est très documenté. Si je savais que ce voyage était atroce pour les malheureux embarqués, là il défie mon entendement. Surtout qu'il s'accompagne des questionnements et révoltes du jeune prêtre, noir, comme les esclaves, sur ce bateau de blancs, où il est protégé par son statut. Il s'interroge, se demande où est l'Amour annoncé dans les Evangiles, où est Dieu en fait....
Malheureusement son périple va le mener dans l'Espagne de l'Inquisition où être noir est signe d'hérésie...
Etape après étape, on cherche cette humanité au milieu de la barbarie. Quelques moments de lumière, mais surtout du sombre, de l'horreur....
Un très beau texte, très joliment écrit, pas toujours facile.
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Hey man, I'm not “une 4ème de couv' ”!
Babel en a fait une très belle.
What did you expect?

Ici, pour ton bien, quitte ton enveloppe charnelle et transforme-toi en esprit lecteur.
Pour ne pas ressentir les lames qui t'entaillent, les tisons qui te brûlent, la faim qui te taraude les entrailles, la puanteur et la putréfaction à vomir.
Pour que la charogne, la vermine et la peur qui te guettent à chaque page n'engloutissent pas ton corps au fond de ce navire saturé d'esclaves africains en route vers le nouveau-monde.

C'est un océan de souffrances, de violence et de rapacité que tu vas traverser avec un jeune prêtre Bakongo missionné par son roi pour aller plaider la cause auprès du Pape de ces
sous-êtres asservis, humiliés, mutilés, violés, voire morts avant d'arriver.

Le souffle épique de ce roman ne parvient pas à éliminer l'odeur fétide de la cruauté de la cupidité et de l'orgueil des hommes.

« Je fus assisté par une foule de suppliciés, des victimes d'imposteurs prétendant exécuter la loi de Dieu ou inventant d'autres prétextes pour légitimer le mépris de la vie humaine et justifier les pires atrocités. »

Wilfried N'Sondé dévoile avec intensité et talent le destin d'un personnage pur et intègre doté d'une foi inébranlable, ayant réellement existé.

« Mais l'être insignifiant qui m'adressa un regard ne sut que me tendre la pierre précieuse de sa bague. Je venais lui dire les souffrances d'enfants, de femmes et d'hommes oppressés, niés, livrés à l'arbitraire, et lui me réclamait un acte de subordination. »

Tout est dit, ou presque…

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Wilfried N'Sondé s'est inspiré de la vie d'un personnage ayant réellement existé, prêtre originaire du royaume du Kongo, chargé par son roi d'aller plaider auprès du pape l'abandon de l'esclavage.
Direction le Vatican donc. Sauf que les impératifs commerciaux régissent les routes maritimes et avant de se rendre en Europe, il faudra faire halte au Brésil…
Né Nsaku Ne Vunda, rebaptisé Dom Antonio Manuel lors de son ordination, cet homme doux, dont la foi en Dieu et en l'Homme semble inébranlable, se retrouve ainsi embarqué sur un navire français, en plein cauchemar.
Sur le pont, il est le seul noir.
Dans les cales du bateau, des hommes, des femmes et des enfants destinés à être vendus au Brésil. Dans les cales du bateau…l'enfer.
La prise de conscience sera brutale.
Voyage terrifiant et initiatique, le périple de Dom Antonio Manuel le mènera de son Kongo natal aux rives du « nouveau monde », du Portugal aux geôles de l'inquisition espagnole, jusqu'à sa destination finale.

Wilfried N'Sondé utilise sa plume comme un pinceau, les images sont promptes à surgir, le plus souvent terrifiantes, mais heureusement, aussi parfois apaisantes.
La langue est belle, empreinte d'une musicalité trompeuse, comme pour panser la cruauté du propos…
Un très beau texte, pour un terrible voyage
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critiques presse (1)
LaCroix
16 février 2018
Le roman de Wilfried N’Sondé fait revivre le premier ambassadeur africain au Vatican, au XVIIe siècle, à bord d’un navire négrier, d’un bateau pirate puis sur les routes de l’Espagne de l’Inquisition.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (83) Voir plus Ajouter une citation
J'avais plié sous la brutalité avec laquelle on m'avait traité et m'étais tu, mais personne n'arriverait jamais à supprimer ma relation avec l'au-delà. J'avais la certitude que le fanatisme était une imposture, le doute qui parfois s'était immiscé dans le cœur même des apôtres était un passage essentiel qui avait revigoré leur ferveur. En pays Kongo, le divin m'avait été enseigné dans un bain d'amour d'où toute crainte était exclue, mes pairs avaient rarement évoqué l'enfer et le péché. Dieu devait symboliser la tendresse qui sécurise, console, laisse Ses enfants libres de façonner eux-mêmes leurs destin, et les aide à les réaliser à la lumière du Saint-Esprit. un vent de révolte me traversa le corps : jamais je n'accepterais un Seigneur du tonnerre, strict, qui punirait chaque écart ou désobéissance avec cruauté. La mort m'ouvrait les bras mais mon sacrifice ne serait pas vain. J'étais prêt à lutter, à rester debout au nom du calvaire des suppliciés de l'arbitraire, en souvenir des cendres fumantes des brûlées vives. Je gardais en moi les bruits de métal, les cliquetis sinistres des chaînes qui entravaient les membres prisonniers : enfants, femmes, hommes agonisant dans l'entrepont.
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Longtemps je me suis moi aussi persuadé que les étrangers étaient les premiers responsables des catastrophes et des terribles épreuves que subirent les Bakongos. J'ai réalisé bien plus tard que nos hypocrisies, le mépris du prochain, nos aveuglements et surtout notre incapacité à nous remettre en cause furent les sources de notre faillite. J'explore le passé, ce labyrinthe d'angles, de courbes, d'impasses et de caches secrètes, je l'arpente sans cesses. Mon coeur ressent une tendresse particulière pour les esclaves dissimulés dans les ombres de l'histoire du royaume Kongo. En plus des personnes offertes aux différents clans, la Bakongos soumettaient leurs ennemis, mais aussi ceux qu'ils qualifiaient de déviants, toutes celles et tous ceux à qui, pour une raison ou une autre, ils n'accordaient qu'une place de second rang. Et même s'ils ne construisaient ni cales à fond de navire, ni chaînes, ni fouets pour assujettir leurs corps, ils les dégradaient de leur qualité d'homme. Et c'était réellement en subalternes livrés à leur bon vouloir qu'ils les traitaient.
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Dans l'entrepont, des centaines de gorges emplie de désespoir râlaient en désordre, des lamentations incessantes. Les esclaves devenaient complètement déments, certains périssaient. Les matelots attendaient que les rangs soient suffisamment clairsemés pour évacuer les dépouilles. Allongés sur trois niveaux d'étagères avec des baquets destinés à leurs besoins, les vivants furent sciemment maintenus, parfois plusieurs jours, dans une horrible promiscuité avec les cadavres : un pas de plus dans la descente vers le sordide. À côté des corps en décomposition, le trépas se présentait aux malheureux détenus dans toute son horreur. Il s'agissait de les briser un peu plus, de dérégler durablement leurs cerveaux, de les contraindre à accepter les lambeaux d'existence que leurs geôliers daignaient leur accorder comme un bien précieux, et d'anéantir le courage des plus résistants en les poussant à supplier leurs tortionnaires de les libérer de la présence des morts. Les dresser à implorer. Transformer les bourreaux en maîtres, afin que dans l'horreur les otages apprennent à accepter leur condition.
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Ils avaient choisi le Raïs Dali comme leur chef suprême de plein gré, et il resterait Dieu et Diable en personne tant qu'il jouirait de leur confiance. Je fus émerveillé par cette idée, nouvelle pour moi, d'une adhésion volontaire à l'autorité. Personne au pays des Bakongos n'avait eu son mot à dire sur la légitimité de ceux qui gouvernaient. Chez nous, le lignage d'un individu justifiait sa place dans la société, la concertation n'existait pas, encore moins la critique. La parole des détenteurs du pouvoir faisait office de loi. Mon univers s'était longtemps limité au Kongo, je me réjouis de me plonger dans un bain de diversité.

[NB : extrait de la description des us et coutumes sur le navire pirate où le narrateur a échoué bien malgré lui]
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Après cela, ils devinrent sourds au son de nos voix, la croix que nous vénérions commença à s'affirmer par la contrainte, forte de sa prétention de substituer aux masques rituels rendant hommage aux esprits anciens. Puis s'installa le règne sans partage de l'argent qui écrasa toute considération d'ordre moral ou spirituel, seuls importaient les produits de luxe, les armes à feu. La séquestration de masse dans des cales sombres comme celles du Vent Paraclet avant le passage vers l'autre côté de l'océan s'organisa méthodiquement, avec une précision effrayante. Et des chaînes de métal pour entraver le corps. Les sordides bijoux de la servitude ornèrent les cous et les chevilles, même de ceux qui s'étaient convertis au christianisme.
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