Nexus

"Nous sommes aussi forts que le signal que nous envoyons, aussi forts que la voix que nous élevons, ni plus ni moins. Ne vous contentez pas de ce seul message. Enregistrez vos propres idées. Ecrivez vos propres essais. Exprimez vous. Luttez pour ce qui est juste. Luttez pour votre droit de décider qui vous allez être demain, quel type de personne vous voulez devenir, et peu importe ce que pense les autres."
Nexus, Ramez Naam

Elle plongea avec délice dans un bassin public de Rire, en émergea pour arpenter une rue de Beauté, tourna dans une allée et entra dans le vaste musée des Objets animés, en sortit par la porte de derrière pour déboucher dans une rue d'Actions et arriva bientôt sur la grande esplanade qui entourait le Temple du Soi.

Le pouvoir ne vaut que lorsqu'il est distribué le plus largement possible. C'est ce que signifie le mot démocratie. C'est ce que signifie le mot liberté. Le droit de décider de votre destin est entre vos mains, et pas celles d'un autre.

Kade chercha frénétiquement la ceinture de sécurité. Il n'y en avait pas. Pas plus que de portières. Grosso modo, ils avaient embarqué dans un pousse-pousse motorisé pourvu d'un petit toit. Au moins celui-ci les protégeait-il de la pluie. Maigre consolation quand on risque d'être propulsé sur la chaussée ou écrasé par un autre chauffeur tout aussi cinglé.
Sam lui posa la main sur le bras et ce fut seulement à cet instant qu'il constata qu'il lui agrippait la cuisse comme si sa vie en dépendait.
- Détends-toi, lui dit-elle. Ils roulent tout le temps comme ça. Profite de la course.
Facile à dire pour elle. Si une de ces bagnoles l'emboutissait, elle était bien capable de rebondir dessus.

Nous ne sommes pas obligés de sacrifier la liberté pour la sécurité. Nous ne sommes pas obligés de renoncer au progrès pour arrêter la terreur. Nous ne sommes pas obligés de céder le contrôle de notre vie à des bureaucrates sans visage et à leur police secrète.

Nous concluons que la Constitution ne garantit la protection publique qu'à la personne humaine. Une personne non humaine créée par la combinaison de gènes humains et de gènes non humains, par l'intégration d'une technologie conférant des capacités non humaines ou par toute autre déviation significative de la gamme existante des caractéristiques humaines, ne bénéficie d'aucune protection spéciale. Par conséquent, le Congrès comme les États sont en droit de légiférer sur le statut des personnes non humaines sans tenir compte des protections garanties par la Constitution aux êtres humains.
- Dyson vs. Département de la Sécurité intérieure, Cour Suprême des États-Unis, 2036

Cette cour a commis aujourd'hui un grand crime. Affirmer qu'un être vivant et conscient, de quelque nature qu'il soit, ne mérite aucun droit, c'est ignorer les leçons de deux cent soixante ans de démocratie. Par ce jugement, nous invitons à la tyrannie, aux atrocités et à l'esclavage.
- Juge Elena Martinez, opinion minoritaire, Dysan vs Déparement de la Sécurité intérieure, 2036

La guerre entre ceux qui acceptent les limites de l’« humanité » et ceux qui célèbrent la puissance du possible est inévitable. Les humains refuseront de nous accepter, de nous tolérer, de nous laisser en paix. Ils nous craindront pour notre grandeur, tout comme Nietzsche avait dit qu’ils craindraient l’Ubermensch. Et parce qu’ils nous craignent, ils chercheront à nous détruire. Ils seront légion. Nous serons peu. Nous triompherons, quel qu’en soit le prix.

Anonyme
Manifeste posthumain, janvier 2038

Onze esprits la touchèrent en même temps en onze points de sa psyché. Ici, la pure joie de Brian devant la folie méditative et exubérante de jouer avec ses amis, esprit contre esprit. Là, le profond réservoir de calme et de dignité de Sandra, ses années de yoga, son aura de paix, servant de point d’ancrage à tous ceux qui l’entouraient. Pour elle, c’était le samādhi. Il y avait Ivan, qui en bon physicien appréciait la dimension mathématique et musicale de l’interaction des pensées autour de lui, tout en danse, harmonie et discorde. Et cette vision, dans l’esprit de Leandra : formes de protéines, replis, récepteurs et liaisons à décoder chez cette douzaine d’hommes et de femmes mentalement connectés… Les larmes, sur les joues de Josephine, d’un souvenir joyeux issu de l’enfance, un feu d’artifice savouré avec son père bien-aimé, son père perdu. Perdu comme… comme…

Nexus l’avait changé, lui avait montré ses actes vus par les yeux d’un tiers. Lui avait montré le mal qu’ils faisaient, lui et les siens. Lui avait donné la volonté de trouver d’autres voies, de créer un monde meilleur. Et si Nexus avait pu métamorphoser ainsi un homme de sa trempe, qu’est-ce que Nexus pouvait pour le commun des mortels ?

Watson Cole se leva et enfila une tenue de sport. Il allait courir jusqu’à épuiser son organisme surhumain. Pas question qu’il devienne accro aux pilules. Il devait se maintenir en forme. Il avait des choses à faire avant de payer pour ses crimes.

La drogue qui l’avait transformé pouvait transformer le monde. Il allait tout faire pour.

Sam prit son temps pour répondre.
– Je suis humaine, Kade. J’ai fait des compromis. J’ai accepté certaines choses qui me sont nécessaires pour faire mon travail, pour garantir la sécurité des gens.
– Bizarre, je ne me sens pas tellement en sécurité près de toi.
– Tu ne vois pas les choses que nous faisons en votre nom.
– J’ai vu ce que tu as fait ce soir.
– Il y a des monstres en ce monde, Kade. Nous devons les arrêter.
– Je ne suis pas un monstre.
– En effet, acquiesça Sam, mais il y en a quand même. Des gens prêts à commettre des atrocités avec cette technologie.
– Il y en a aussi qui sont prêts à accomplir des miracles, répliqua Kade. Nous l’équiperons de garde-fous. C’est prévu depuis le début. Pas plus que toi nous ne souhaitons que notre œuvre serve à exercer un contrôle mental.
– La rétro-ingénierie permettra de démonter votre technologie. Ceux qui s’en chargeront supprimeront vos garde-fous, à moins qu’ils n’élaborent un système cloné qui en sera dépourvu. C’est toujours comme ça que ça se passe. Une fois que le génie est sorti de sa lampe, on ne peut plus contrôler ses actes.