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Critique de Lucilou


De Juliette Drouet, je savais peu ou prou ce que tout le monde sait.
Je savais l'histoire d'amour folle, passionnée, contrariée, illégitime et épistolaire avec Victor Hugo; je savais donc les milliers de lettres; je savais l'enfance et la jeunesse presque misérable qui inspirèrent les personnages de Fantine et de Cosette. Je ne savais pas grand chose de plus en fait... Jusqu'à un épisode passionnant du podcast "Autant en emporte L Histoire" lui étant consacré que j'ai dévoré religieusement, l'écoutant comme d'autres écouteraient un prêche. Chaque épisode se construit sur le modèle suivant: pendant une demi-heure des comédiens et des comédiennes interprètent les personnages dont il est question sous la forme d'un récit qui reprend un moment de la vie de ces derniers. Ensuite, Stéphanie Duncan, l'animatrice et productrice de l'émission revient avec un invité spécialiste du personnages évoqué sur le récit. C'est toujours passionnant quand bien même les figures évoquées ne me passionnent pas au départ... Férue de ce XIX°siècle artistique et littéraire, pour moi incomparable, je ne pouvais manquer l'épisode sur la maîtresse de Victor Hugo, au titre par ailleurs accrocheur et terrifiant "Juliette Drouet et Victor Hugo: une terrifiante et vraie histoire d'amour". Son écoute a constitué un moment passionnant où je suis allée de découvertes en surprise tant concernant le récit que l'entretien de fin d'épisode avec Florence Naugrette, historienne française du théâtre et spécialiste du romantisme et de Victor Hugo dont j'ai appris qu'elle était l'auteure d'une biographie récente (2022) et saluée de Juliette Drouet. Ses propos m'ont tant intéressée en ce qu'ils donnaient à voir une Juliette Drouet bien plus complexe que l'image d'Epinal qu'en garde l'histoire littéraire que je me suis promis de me procurer l'ouvrage. Un petit tour à la librairie de la Comédie Française (en attendant la représentation de "Lucrèce Borgia": il est d'heureuses coïncidences!) lors d'une escapade parisienne et me voilà nantie de l'ouvrage à l'épaisseur considérable.

Tout d'abord, je tiens à saluer le style de Florence Naugrette, très fluide. "Juliette Drouet, compagne du siècle" est certes une biographie, un texte scientifique, il n'en demeure pas moins qu'il est très, très bien écrit, très élégamment et qu'il se dévore. Il m'a fallu un peu moins d'une semaine pour en venir à bout! C'est une dévoration en bonne et due forme.

Ensuite... Il y a tant et tant à écrire sur cette passionnante biographie, qui met en lumière une femme singulière sinon extraordinaire et qui fut bien plus que la compagne de Victor Hugo, bien que cela tint une bonne part de sa vie...
Oui la biographie est passionnante en cela que, non contente d'être joliment et clairement écrite, elle représente aussi un travail de recherches considérables au cours duquel Florence Naugrette s'est astreinte à l'archivage des vingt-deux mille lettres que Juliette écrivit à Victor ainsi qu'à une plongée dans toutes les sources possibles, des comptes rendus des pièces de théâtre aux diverses correspondances, des ragots d'époque aux biographies tardives et légendes murmurées, tout cela dans le but de faire jaillir de sa plume et de son travail la Juliette Drouet la plus vraie possible, la plus proche de ce qu'elle était vraiment. "Juliette Drouet, compagne du siècle" représente un travail aussi fin que titanesque et c'est un ouvrage rigoureux, précis, presque scientifique qui ne tombe pas le piège de du portrait à charge ou de l'hagiographie ni dans celui qui force à inventer des dialogues, à prêter des pensées, sans preuve pour les étayer. Il ne tombe pas non plus dans l'écueil du psychologisme, du jugement a postériori. Rien de tout cela, cette biographie en est une et elle est pointue, excellente...
Il y a la biographie qui s'ouvre sur un avant propos dont j'ai presque souligné tous les paragraphes tant je l'ai trouvé brillant, éclairant (et foutrement bien écrit!) et il y a son "personnage principal", Juliette Drouet que nous raconte Florence Naugrette, de sa pauvre enfance bretonne aux scènes parisiennes, en passant par le couvent et la courtisanerie, la rencontre avec Hugo -forcément-, les milliers de lettres, les orages, les relectures... Quelle vie! Quel destin! On ne peut qu'être intrigué, touché, effrayé, dérangé aussi par cet amour fou qui la contraint à l'oubli volontaire d'elle-même, au sacrifice de sa propre vie. On ne peut être que piqué, fasciné par ces vingt-deux mille lettres d'amour souvent, de colère parfois, de réflexions sur l'art, la vie... Ces lettres qui témoignent d'une femme passionnée, intelligente, aimante; révoltée, torturée parfois et dont l'écriture évolue au fil des années, au gré du travail de sa plume et de ses lectures... On ne peut que s'interroger sur le couple que Juliette, à tout jamais illégitime, forma avec l'auteur des "Misérables" et au-delà sur la place des femmes et de leur volonté au XIX°siècle... Aujourd'hui ne dirait on pas que leur relation fut abusive, toxique? Que penserait on de cette servitude volontaire qu'il lui impose autant qu'elle semble le choisir pour "effacer" le mal dans lequel elle aurait pu vivre autrefois? Pour autant, elle fut sans doute la seule à pouvoir se permettre de dire le vrai au génie du siècle, elle qui fut sa collaboratrice, sa relectrice...
Avec cette imposante biographie d'une femme méconnue, sensible et amoureuse, candide et clairvoyante, ardente et curieuse, incroyablement drôle, Florence Naugrette nous donne également à voir toute une période de l'Histoire et de l'Histoire Littéraires, intrinsèquement passionnantes mais sans la compréhension desquelles il semblerait vain de vouloir appréhender la figure complexe et attachante de Juliette Drouet, si loin des clichés un peu fleur bleu ou des légendes bien ancrées à base de courtisanerie et de scandales à la "pot-bouille" et dans une démarche heureusement historiciste. Tout cela rend un bel hommage à cette femme complexe, exceptionnelle à sa manière et qui sut sensibiliser le grand Hugo aux causes qu'il défendit vivement et qui firent de lui la légende qu'il est aujourd'hui.
Il n'y a pas de grand homme sans une femme reléguée injustement dans l'ombre.
L'ombre de Victor Hugo s'appelait Juliette.
Elle mérite assurément qu'on parle d'elle.
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