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Critique de Christophe_bj


Fabrice Neaud poursuit son entreprise d'autobiographie en bande dessinée qu'il place sous le titre général (que je trouve très inspiré) d'Esthétique des Brutes. le premier ensemble de cette Esthétique est constitué des quatre tomes de son Journal, d'abord publiés chez Ego Comme X puis récemment republiés chez Delcourt en trois volumes et couvrant les années 1992-1995. le présent album est le premier tome du nouveau triptyque intitulé le Dernier Sergent, portant sur les années 1998 à 2000. Il commence par une thématique chère à l'auteur, le droit à l'image, puisqu'il ne comprend pas qu'on lui reproche de dessiner des gens, le plus souvent des hommes qui lui plaisent, à leur insu. Il se poursuit par la mort de sa soeur, d'un cancer, et la mort de son père, de la même maladie. ● Mais une part importante de l'album réside dans la vie intérieure de Fabrice, que ce soit ses pensées ou ses émotions, les deux étant bien sûr liées. ● On retrouve ici les traits de caractère déjà vus dans les précédents opus : un manque total de confiance en lui doublé pourtant d'une haute idée de ses capacités, une frustration sexuelle insupportable, une propension à désirer des hommes qui ne peuvent ou ne veulent réciproquer, une prolixité philosophique qui analyse et surinterprète tout, une grande paranoïa… ● Néanmoins, j'ai trouvé cet album quelque peu assagi et mûri. On ne trouve plus les grands plâtras de texte indigestes ni les interminables ratiocinations sur les garçons qu'il n'« aura » jamais, même si l'on voit apparaître un nouvel avatar de l'amant inaccessible en la personne d'Antoine. ● A la fin des années 1990, je me demande pourquoi Fabrice Neaud vit comme un homosexuel des années 1950-60, avec pour seul horizon de drague les abjections du jardin public tandis qu'Internet fait ses débuts et que le minitel existe encore : pourquoi n'y a-t-il pas recours ? ● On voit apparaître aussi dans cet album la théorie du genre, avec des citations de livres, qui ne constituent pas les meilleurs passages. le livre est encore plus traversé que les précédents de citations et de références à la littérature – notamment à Proust – , à l'art, et surtout à la musique – en particulier à Mahler. ● J'ai l'impression qu'il se trompe lorsqu'à la lecture du livre de Marie-France Hirigoyen, le Harcèlement moral, il se classe parmi les agresseurs et les « Narcisse vides ». Je pense qu'il est beaucoup plus agressé qu'agresseur. Mais il y a aussi en lui une bonne dose de masochisme qui le fait se voir pire qu'il n'est. ● Cet album, comme les précédents, est bourré de qualités, à commencer par les dessins, que je ne me lasse pas d'admirer, qui jouent avec le noir et blanc avec une virtuosité stupéfiante ; les vignettes sont de vraies oeuvres d'art sur lesquelles l'oeil s'arrête, ce qui n'est pas souvent le cas dans les albums de bande dessinée d'autres auteurs. La justesse de ses portraits me laisse pantois. Mais tout est somptueux : les décors, les paysages, les silhouettes, tout. La scène de bagarre est admirablement rendue. ● A cet égard on peut noter que Fabrice Neaud utilise plusieurs styles de dessin, du réalisme (terme qu'il récuse et qui, il est vrai, est toujours sujet à caution) au style bd plus courant, en passant par la déstructuration volontaire des dessins réalistes (par exemple avec des visages tremblés, ou incomplets), représentant souvent le mal-être, et par des dessins plus symboliques et abstraits. ● L'autre qualité qui prédomine est la totale honnêteté de l'entreprise autobiographique : à la manière de Rousseau, Fabrice se met à nu devant le lecteur, tout en étant moins cauteleux que son illustre prédécesseur. Il y a une évidente volonté de tout dire, même le moins flatteur. ● « L'entreprise » que « forme » Fabrice Neaud n'eut « jamais d'exemple » et constitue peu à peu une oeuvre capitale. ● Je recommande cet album et toute son oeuvre autobiographique dessinée. A noter qu'on peut très bien lire cet album sans avoir lu les précédents.
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