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Critique de colimasson


Aurélia est d'abord un projet clinique. Gérard de Nerval, ravi des séjours qu'il passait à la clinique du Docteur Blanche (il appelait ce lieu le « Paradis ») avait décidé de faire une étude de ses rêves et visions qu'il adresserait au clinicien pour le remercier. le projet prit ensuite la tournure plus littéraire qu'on lui connaît.


L'écriture de la nouvelle se justifie donc par des fondements très personnels et son objectif clinique initial est de reproduire le processus de « l'épanchement du songe dans la vie réelle ». L'histoire autour d'Aurélia s'inspire de la vie de Gérard de Nerval, de son amour impossible pour Jenny Colon, de sa rencontre avec Marie Pleyel et de la réunion fortuite des deux femmes à Bruxelles. Evoquant la mort d'Aurélia, il en vient à évoquer la mort de sa mère. Ces éléments contaminent le rêve, qui se diffuse à son tour dans la vie. Finalement, ce n'est pas la confusion entre le rêve et la réalité qui trouble le plus, mais la question de savoir si le rêve est une forme de pré-conscience capable d'enrichir la compréhension des événements qui sont perçus par la conscience en éveil. Gérard de Nerval exprime naturellement le potentiel initiatique du rêve lorsqu'il éblouit de l'intérieur. le rêve a une valeur initiatique : il fait vivre ce que la conscience éveillée n'a jamais eu l'honneur de connaître, il donne la certitude absolue de l'existence d'un autre niveau de réalité.


A ce point-là du récit, Gérard de Nerval délaisse Aurélia –sa justification individuelle- pour faire la rencontre avec l'archétype, qu'il nomme parfois Âme, ou Esprit, et qui surplombe ses visions oniriques, créateur de ces nuits éternelles où les lunes se succèdent à une allure infinie, où le fluide métallique parcoure les terres pour l'inonder de sa symbolique alchimique. Gérard de Nerval devient ce nouveau monde. Les barrières entre son individu et le reste de l'univers deviennent poreuses –les personnes qui contempleraient de l'extérieur cette fusion de l'homme au monde ont toutes les raisons de sentir que quelque chose leur échappe. Gérard de Nerval préfigurerait ainsi le cas clinique de la schizophrénie –mais on sent que ce n'est pas que cela, et que la nosologie clinique pâtit d'une trop grande modestie pour s'appliquer correctement à tous les cas qui dévient de l'ordinaire.


« Tout vit, tout agit, tout se correspond ; les rayons magnétiques émanés de moi-même et des autres traversent sans obstacle la chaîne infinie des choses créées ; c'est un réseau transparent qui couvre le monde, et dont les fils déliés se communiquent de proche en proche aux planètes et aux étoiles. »


Gérard de Nerval a-t-il été prophète sans le savoir ? René Daumal lui voue une admiration éperdue dans un essai écrit en son honneur (« Gérard de Nerval le nyctalope »). Il relie cette nouvelle au Livre des morts égyptien, aux livres sacrés de l'Inde, au Zohar ou à l'occultisme pour sa science du rêve. Les visions de l'espace astral le renvoient aux nadis hindous ; le point de la nuque sur lequel il applique son talisman correspondrait au trou de Brahma ; et le totémisme primitif serait honoré par le rappel du royaume souterrain, par le thème du double prophétique et par la réapparition des aïeux défunts dans le corps d'un animal. Qu'on n'aille pas croire cependant que Gérard de Nerval ne serait qu'un ennuyeux professeur de la Science universelle. On préfère croire qu'il n'était même pas conscient des implications symboliques de ses rêves et visions, mais elles lui apparaissaient spontanément et sans effort, sous un aspect purement charismatique. Et si ce n'est pas seulement le cas, alors Gérard de Nerval a su se retirer humblement pour transmettre cette richesse symbolique sans vouloir faire croire qu'il en est le créateur.


On peut lire Aurélia pour son histoire mais celle-ci est tellement décousue (la deuxième partie est de reconstruction posthume) qu'il ne faut pas lui chercher beaucoup de cohérence factuelle. On peut lire Aurélia pour la beauté de la langue appliquée à la description d'épisodes qui se passent ailleurs –ni sur ce monde, ni sur un autre mais AILLEURS. On sera alors charmés juste ce qu'il faut pour ne pas jeter Gérard de Nerval aux oubliettes. Mais on peut aussi lire Aurélia dans l'espoir de trouver, transfigurée, une expérience de vision ou de rêve qu'on n'avait jusqu'alors pas su expliquer avec autant de simplicité et d'évidence que ne le fait ici Gérard de Nerval.
Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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