... la conscience d’être en guerre, et donc en danger, permet de faire passer pour naturelle la concentration des pouvoirs par une toute petite caste, présentée comme la condition sine qua non de survie.
... à partir de la quatrième décennie du XXe siècle, tous les grands courants de pensée politique ont été autoritaires.
Pendant de longues périodes, la classe supérieure semble assurer sa suprématie, mais, tôt ou tard, il arrive un moment où elle perd soit sa foi en elle-même soit sa capacité de gouverner avec efficacité, soit les deux. Elle est alors renversée par la classe moyenne, qui enrôle la classe inférieure dans ses rangs en lui faisant miroiter un combat pour la liberté et la justice. Sitôt son objectif atteint, cependant, la classe moyenne renvoie la classe inférieure à son éternelle servitude et s’arroge la position supérieure.
– Comment un homme affirme-t-il son pouvoir sur un autre, Winston ?
– En le faisant souffrir.
– Exactement. L'obéissance ne suffit pas. S'il ne souffre pas, comment savoir qu'il obéit à ta volonté, et non à la sienne ?
Je le dis toujours : "Faut savoir hurler avec les loups". Quand on veut avoir la paix.
Dans un monde où chacun travaillerait peu, mangerait à sa faim, habiterait une maison avec salle de bains et réfrigérateur, posséderait une voiture voire un avion, la forme d'inégalité la plus flagrante ou même la plus importante disparaîtrait.
Sauf qu'en pratique cette société-là ne pourrait demeurer stable bien longtemps. Car si tous jouissent de loisirs et de sécurité, les masses ordinairement abruties par la pauvreté vont s'instruire et se mettre à penser, en conséquence de quoi elles finiront par s'apercevoir que la minorité privilégiée ne sert à rien et elles la balaieront. À terme, une société hiérarchisée doit s'appuyer sur la pauvreté et l'ignorance pour être viable.
Les livres les meilleurs sont ceux qui disent ce que l’on sait déjà.
– Alors, le dictionnaire, ça avance ?
– Celle-ci sera l’édition définitive.
Nous détruisons des mots par dizaines, par centaines. Tous les jours, nous dégraissons la langue jusqu’à l’os.
Pourquoi conserver un mot qui n’est que le contraire d’un autre ? Prends « bon » par exemple. Quel besoin d’avoir « mauvais » ? « inbon » fera aussi bien l’affaire.
Si tu veux une version renforcée de « bon », ça ne rime à rien d’avoir une kyrielle de mots approximatifs comme « excellent », « superbe ». « Plusbon » couvre le sens, et même « doubleplusbon » si on veut insister.
Ne vois-tu pas comme c’est beau, Winston ?
Ne vois-tu pas que tout le propos du néoparler est de rétrécir le champ de la pensée ?
A terme, nous rendrons littéralement impossible le mentocrime pour la bonne raison qu’il n’y aura plus de mots pour le commettre. Tout concept sera exprimé par un seul vocable. La révolution sera complète quand la langue sera parfaite.
Tout part en fumée. Le passé est effacé, et sitôt son effacement oublié, le mensonge devient vérité.
Si tous acceptent le mensonge, il passe dans l'histoire et devient vérité. Il suffit d'une série de victoires ininterrompues sur la mémoire. p36