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Critique de Bdotaku


Si « 1984 » a plusieurs fois été l'objet d'adaptations cinématographiques et théâtrales, l'oeuvre n'avait jamais été adaptée en roman graphique ; c'est désormais chose faite avec ce volumineux album de Fido Nesti sorti chez Grasset début novembre 2020, quelques semaines après la parution des oeuvres complètes de George Orwell dans « La Pléiade », qui coiffait au poteau trois autres adaptations parues début janvier.

Il paraissait dans un climat très étrange, en pleine pandémie, quand le président de la plus grande démocratie mondiale refusait de céder sa place et clamait haut et fort qu'il ne fallait pas croire ce qu'on voyait et ce que l'on entendait ; il avait pour dessinateur, un homme qui doit subir tous les jours le régime populiste de Bolsonaro … Alors oui, forcément, on s'attendait à des parallèles dressés entre le roman et notre société.

Il n'en est rien.

Fido Nesti fait preuve d'une fidélité totale à l'oeuvre source. La couverture, reprend les couleurs de celle de la première édition du roman : beige, gris et rouge dans une esthétique proche du courant futuriste. Il conserve la division en trois parties du roman et ses 24 chapitres. le livre de Goldstein est repris in extenso ainsi que l'appendice sur le « novlangue » ou plutôt « néoparler » dans la traduction de Josée Kamoun qui a été choisie. Cette dernière a d'ailleurs prêté son concours à l'exercice d'ajustement des textes figurant dans les phylactères et les récitatifs . le dessinateur a en effet gardé près de 40 % du manuscrit initial (400 pages dans la version poche), ce qui est énorme au regard des contraintes narratives propres à la bande dessinée. Et ceci constitue pour moi la limite principale de cet album : il est bavard, bien trop bavard.

Certains passages sont laissés en langue anglaise ce qui souligne à la fois la fidélité à l'oeuvre originelle mais également l'impossible émancipation du dessinateur. L'avalanche de texte noie le lecteur surtout dans les trente premières pages. On a l'impression que le dessin « rétréci » par l'ampleur des cadres de récitatifs peine à s'imposer ; les planches en deviennent suffocantes et l'adaptation semble finalement une illustration bien sage et ordonnée dans un gaufrier classique …

Et puis, l'on se dit que cela permet tout de même de mettre en avant l'importance de la parole. Nesti joue des codes graphiques. Les appendices qui relient les phylactères aux personnages sont ondulés, sinueux, comme des serpents ou des jets de fumée : ils matérialisent finalement dans leur étrange forme tout le pouvoir nocif de la parole. de même on quitte enfin le gaufrier classique pour des angles de prise de vue et des plans variés. le protagoniste – Winston – est vu en plan rapproché puis en demi ensemble ; en plongée puis en contre plongée, comme si l'on voulait nous faire sentir qu'il est sans cesse examiné, espionné et redonner ainsi toute sa portée à la célèbre phrase « Big brother is watching you ». L'auteur multiplie les gros plans sur les bottes des tortionnaires comme pour nous montrer la chappe de plomb qui pèse sur le héros ; parfois les personnages débordent sur les bordures sortant ainsi du cadre au propre comme au figuré.

Peu à peu, l'auteur déploie sa palette même s'il ne fonctionne qu'avec les trois couleurs présentes dès la couverture. On passe de planches monochromes rendant le climat morose d'Océania (Londres) et ses paysages de béton et de ruines à d'autres où les nuances se mêlent. le rouge prend de plus en plus de place quand la violence et la colère sont prégnantes ; quand apparaissent les moments de bonheur avec Julia, le rouge s'adoucit et devient rose pâle. Fido Nesti choisit aussi à dessein d'enlaidir ses personnages : ils sont tous semblables, sans âge, ternes, aux petits yeux rétrécis comme pour montrer que l'élan vital les a quittés.

C'est un ouvrage qui permettra de se remémorer le roman pour ceux qui l'ont lu et de s'en faire une bonne idée pour ceux qui ne le connaissaient pas ; C'est d'ores et déjà un succès de librairie ( 4000 exemplaires vendus en moins de deux mois) mais personnellement je préfère la version de Xavier Coste qui est moins une illustration redondante qu'une réinterprétation graphique magnifique du roman dystopique
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