Citations sur Le Dévoué (23)
D'un côté, l'Américain laid, qui ne se souciait pas de ce qu'il en mangeait tant qu'il a mangeait trop, notamment les tranches géantes de viande rouge encore sanguinolente. En face, le Français chic, qui préférait la cruauté raffinée du foie gras.
Merde! Le mot le plus utile de la langue française, facile à prononcer, et d'une belle éloquence pour décrire un tas de situations, du littéralement fécal au désagréablement existentiel.
L'autre nom figurant sur la couverture était celui de l'homme qui en faisait la promotion, Henry Kissinger, « Prix Nobel de la paix », blague tellement drôle que je ne pus m'empêcher de rire. Si je poignardais quelqu'un dans la rue, alors j'étais un assassin. Mais si, comme Kissinger, conseiller à la sécurité nationale du président Nixon, je laissais des escadrilles de bombardiers déverser des tonnes de bombes sur des milliers d'innocents, alors j'étais un homme d'État.
Claude m'avait également offert le Zippo, personnellement dédicacé. Tu vois ça? avait-il dit en soulignant les mots avec son index. Ça reste entre nous, mais c'est la devise officieuse de la CIA : BAISE-LES AVANT QU'ILS NOUS BAISENT.
En tant que sympathisant par excellence, je pouvais voir des deux côtés non seulement chaque chose, mais chaque être humain. C'est comme ça que je savais que beaucoup des grands de ce monde ont aussi été des truands, des dealers, des maquereaux et des tueurs, même s'ils préfèrent se faire appeler présidents, rois, diplomates ou hommes d'État.
Il s'approcha du placard et en sortit une boîte de biscuits danois au beurre, bleue, en fer-blanc. Était-ce celle que nous avait présentée le Boss? Il l'ouvrit, dévoilant le plus succulent de tous les biscuits, la prothèse masculine ultime, un pistolet perpétuellement dur et capable d'éjaculer en rafale. Pas un de ces revolvers français civilisés qui ne pouvaient tirer qu'au ralenti. Non, un Walther P38 calibre 9 mm à tir rapide, germanique, impitoyable.
Ou tiens : prends la Révolution française. La Terreur a été un événement malheureux, mais vois un peu où on en est aujourd'hui. Les révolutions doivent être jugées cinquante ans plus tard, cent ans plus tard, quand les passions se sont refroidies et que les succès ont eu le temps de s'enraciner, de s'épanouir.
En fin de compte, Pol Pot avait peut-être simplement confirmé un des arguments de Fanon : « Le colonisé est un persécuté qui rêve en permanence de devenir persécuteur. »
La religion organisée avait été le tout premier, le meilleur système de racket, une économie du profit perpétuel fondée sur la peur volontaire et la culpabilité forcée.
Mon problème était peut-être que je pensais que nous, les Vietnamiens, avions touché le fond sous les Français, avions découvert ensuite avec les Américains qu'il y avait un autre fond au-dessous, alors qu'en réalité, il y avait encore un autre fond à trouver - le nôtre.