Il y en a qui ont parlé de rayonnement radioactif. D'autres ont dit qu'il y avait tellement de poison sur la Terre qu'elle ne pouvait pas en supporter davantage. D'autres encore que c'était une épidémie. Et puis certains disaient que c'était tout ça mélangé.
- C’est là ? insiste Fride en se tournant vers elle. Mais… Pourquoi tu pleures ?
- Pour rien. Ca fait juste un peu drôle d’être de retour à… à la maison.
- Je le sens, dit Fride. Je sens que j’ai habité ici.
- C’est vrai ?
- Oui. Et ça, c’est la photo dont papa parle tout le temps, poursuit Fride en montrant du doigt un cadre accroché au mur.
- Regarde comme tu es petite, dit Nanna en essuyant ses larmes.
- Et maman, Qu’est-ce qu’elle est belle !
- Oui. On va l’emporter en partant.
D'un coup, elle a l'impression de tout voir depuis les airs. De planer très haut au-dessus des arbres. Elle voit le vélo et sa remorque qui progressent lentement vers la ville. Il n'y a personne d'autre sur terre. Quant à ceux qui restent, ils vont mourir eux aussi. Le monde sera vide. Vidé. Muet.
On dirait que la mer attend quelque chose ; quelque chose qui viendrait briser le silence, l'emplirait à nouveau de vie. Or il n'y a que le vent, les ondes et la pluie.
- C'est ici que je suis mort, dit Oiseau en s'asseyant sur les marches.
- Qu'est ce que tu veux dire ?
- C'est le premier endroit que je me rappelle. Je me souviens que j'étais en train de chercher quelqu'un dans la maison, mais je n'ai trouvé personne. J'ai cherché jusqu'à ce que je n'aie plus rien eu à manger. Et quand je suis sorti, il n'y avait nulle part âme qui vive. C'est pour ça que j'appelle cette maison le ciel. Je croyais que j'étais mort.
C'est dans une petite ferme qu'elles ont fait halte. Elles traversent les champs à la hâte et pénètrent dans la forêt. Aucun bruit, aucun mouvement alentour. Rien que le sifflement du vent dans les arbres et le froissement des feuilles tombées à terre. Nanna aimerait tant voir pousser des bourgeons verts tout neufs, mais la nature comme les hommes est tombée malade. Tout ce qui vivait est en train de mourir.
"Nanna réalise que la vie ne fait que commencer" (p.330)
Aussi loin que porte le regard se dressent des arbres nus ou avec quelques feuilles mortes. L'herbe est jaune et sèche. Les seuls bruits qu'on entend sont celui du vent et le ressac de la mer sur la plage. Pas d'oiseaux en train de gazouiller, pas un seul insecte qui bourdonne.
Au carrefour se tient un tramway vert portant de longues lignes de rouille aux flancs. Sur la route, quelques voitures. On se croirait dans un monde miniature, une de ces maquettes de gares avec lesquelles elles ont joué parfois. Comme si Nanna et Fride avaient rapetissé et que tout ce qui les entourait était faux. Il ne manque plus que quelques bonshommes en plastique tout raides, figés sur place ; ou des gens en train de traverser la rue, pied en l'air.
En bas, dans le bunker, il n'y a pas de différence entre le jour et la nuit.