Bien sûr les frères désiraient en secret s'approcher du roulis, sentir la langue brûlante des vagues à leurs chevilles, perdre leurs regards dans l'immensité turquoise, émeraude, marbrée d'algues tentaculaires. (..) La mer ne régnait pas seulement sur leurs nuits, elle était à la barre de leurs fantasmes adolescents.
Les étoiles étaient là, veillaient où que l'on dorme.(...) Il n'avait jamais cru ce qu'on lui racontait, qu'elles étaient mortes depuis des milliers d'années,astres défunts scintillant longtemps après l'extinction. Ni qu'elles étaient les âmes des morts sans sépulture. Non, il ne les imaginait pas faites de matière éteinte. Elles se tenaient à leur poste de guet sur la trame du ciel. Elles avaient donné naissance aux fées, aux muses, aux lucioles. Et peut-être aux anges gardiens, s'ils existaient.
Les êtres les plus endurcis se brisaient aussi facilement que des tessons de verre si on les frappait au point névralgique.
´ Ça ne sert à rien de se reprocher ce qu'on n'a pas pu faire , l'amour qu'on n'a pas pu donner . Nous sommes infirmes et impuissants la plupart du temps , nous aimons mal ou à contretemps , il faut l'accepter´ , répétait - il à des individus qui avaient perdu quelqu'un avant d'avoir pu , d'avoir dit , d'avoir fait .....
Il parlait d'expérience .
Les fêlures, les blessures, les tragédies qui avaient secoué tous ces gens circulaient peut-être à travers la chaîne des rêves, comme le sang bleu ou les maladies génétiques. p 275
La liberté avait le goût des endroits où on n'était pas encore allé.
Il y a toujours quelque chose d’irréel dans la mort. Ceux qui partent nous laissent seuls, encombrés de tout ce qu’on a pas su leur dire.
Lunaire se tut, repensant à Benoît échevelé dans le noir de la chambre, cherchant comme un fou une gamine perdue, la suppliant de ne pas avoir peur de lui.
Un silence gêné les enveloppa avec la soudaineté du brouillard.
- Je vais te raconter , dit Lunaire en se raclant la gorge, ce qui est arrivé à celui-ci.Abel Loudun, le frère d ' Ardélia. .....
Lunaire raconta l'horrible histoire, qui devint peu à peu un récit d'épouvante, de ceux dont on s' effraie les nuits d'orage, riant de sa propre terreur et de celle de l'autre.
Alors la brume entre eux se leva.
Ils étaient saufs sur la berge.Et ils se parlaient un peu plus légers d'en être capables.
Les hommes allaient sur la Lune ou sur Mars, mais le monde des rêves était encore plus dangereux et plus stimulant à explorer.
Ni que son océan à lui serait jonché de galeries enfoncées dans la terre, avec la boue pour berceau, le vacarme des obus s’abattant telles des myriades de vagues sifflantes de colère, le tressautement des morts vivants auscultant leur carcasse à l’aveuglette à la recherche des pièces manquantes.