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Critique de lafilledepassage


IL FAUT LIRE « ENTRE DEUX MONDES » !

Il faut lire « Entre deux mondes », le dernier récit d'Olivier Norek. Récit et non roman, car c'est ici une histoire vraie, une histoire qui s'est déroulée (et se déroule encore. Il n'y a juste plus de jungle mais les hommes sont toujours là, éparpillés aux quatre coins de la France ou de la Belgique voisine) dans notre pays (ou le pays voisin), à 200 km de la capitale européenne. Une histoire vraie que nous n'avons pas le droit d'ignorer, que nous n'avons pas le droit de ne pas entendre.

Récit et non roman, d'ailleurs l'auteur le précise d'emblée : « Face à la violence de la réalité, je n'ai pas osé inventer. ». Petit reproche à l'éditeur par ailleurs : cet avertissement n'est pas noté en exergue, que je suis sûre que tout lecteur lit, mais sur l'une des toutes premières pages du livre, page que le lecteur ordinaire ne lit jamais, celle où on trouve l'adresse de l'éditeur et ce genre de renseignement d'intérêt très limité …

Les personnages de ce récit sont des êtres de chair et de sang, comme nous, avec des aspirations au bonheur, à la liberté et à la paix, comme nous. Ils sont comme nous, sauf peut-être leur couleur de peau, leur religion. Ah non, pardon, ils sont Syriens et leur pays est aux mains d'un dictateur sanguinaire. Ah non pardon, ils sont Soudanais et Erythréens et dans leur pays on crève de faim. On les appelle « réfugiés potentiels » pour ne pas leur donner la qualité complète de réfugiés, « sinon il faudrait s'en occuper et […] on les laisse juste moisir tranquilles en espérant qu'ils partiront d'eux-mêmes ».

Ils sont comme nous, souvent même couleur de peau, même religion ou sans religion. Et tous les jours ils sont confrontés au désespoir sans fond des réfugiés, tous les jours ils doivent exécuter des ordres absurdes ou inhumains (comme par exemple gazer des innocents qui veulent juste rejoindre le Royaume-Uni, ou tirer sur des hommes, des femmes et des gosses qu'ils devraient normalement protéger.) Tous les jours, ils se battent pour rester des hommes.

Je voudrais juste revenir sur deux points qui me semblent importants. le premier est cette idée, répandue chez une certaine couche de la population que Daesh recrute parmi les réfugiés. Or si on réfléchit un petit peu, pour quelles raisons un jeune homme qui a fui son pays en guerre, pris au piège entre un dictateur et des islamistes, puis qui a affronté mille périls pour arriver à la Jungle, en passe de réaliser son rêve de rejoindre le Royaume-Uni où l'attend une vie meilleure s'enrôlerait auprès de Daesh ? Non Daesh recrute dans nos prisons, dans nos banlieues, dans nos écoles, dans nos mosquées, auprès d'une jeunesse désemparée et sans avenir.

La deuxième erreur, selon moi, c'est de laisser croire que les Syriens pensaient, avant leur arrivée à Calais, que la Jungle était un endroit agréable, voire confortable, et sûr (d'ailleurs les enfants et les femmes ne sont-ils pas dans un endroit isolé des hommes ?). Sur base de quoi ? Aucune télévision au monde n'a jamais présenté la Jungle comme un camp de vacances, et aucun Syrien n'est là de gaieté de coeur (comme on dit chez moi). Il n'y a pas de phénomène d'appel d'air. Arrêtons avec ces formules tout faites qui ne veulent rien dire.

Voilà pour le fond. La forme maintenant : pur style polar, je dirai. Beaucoup de dialogues dans un style direct, percutant et qui m'ont fait penser aux grands films français (j'entendais presque Gabin et Ventura parfois). Beaucoup d'actions, et du suspense. Et une image magnifique que je retiendrai longtemps, je crois, celle de cette fête foraine poussée « de nulle part, entre les docks et un parking […]. Un stand de confiserie, une dizaine de manèges en marche, toute musique dehors, couleurs flashy et lumières vives. Mais les allées étaient totalement vides et l'absence des cris de joie d'enfants lui donnaient un aspect inquiétant, comme une petite ville fantôme qui organiserait tous les jours une bringue à laquelle personne ne viendrait jamais. »

IL FAUT LIRE « ENTRE DEUX MONDES » car la jungle, c'est la honte de la France et de la Belgique, c'est la honte de l'Europe. Il est temps, grand temps que toute l'Europe ouvre les yeux et se montre digne de ses valeurs fondatrices.

Amen

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