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Critique de berni_29


Je me suis souvent demandé comment définir un livre qu'on a aimé, un livre qu'on n'est pas prêt d'oublier, qu'on va garder longtemps dans sa mémoire, un livre dont les pages vont résonner en vous comme un écho en cascade. Un livre dont on a qu'une seule hâte, une seule joie, celle d'en partager la lecture avec celles et ceux qu'on aime. Est-ce un livre qui vous caresse, qui vous cajole, qui vous fait du bien ? Ou au contraire, est-ce un livre qui vous prend aux tripes, vous secoue dans tous les sens ? Les deux ne s'opposent pas bien sûr. Un livre qui vous trouble, vous perturbe, vous égratigne dans vos consciences parfois endormies, vous éclaire en définitive, c'est aussi un livre qui vous veut forcément du bien... Ce livre, dont je veux vous parler, est de ce cru.
Je ne connaissais pas Olivier Norek, avant de tomber sur ce roman magnifique et violent qu'est Entre deux mondes. C'est pour moi une rencontre inouïe et forte.
D'abord il y a Adam, il est soldat de l'armée syrienne libre, c'est-à-dire opposant au régime de Bachar El-Assad. Devant le danger d'un régime totalitaire et pour lequel lui et les siens sont des cibles privilégiées, il a décidé d'envoyer en Europe sa femme Nora et sa fille Maya qu'il rejoindra quelques semaines plus tard. Tout a été bien organisé par les réseaux des passeurs : la Libye, la traversée de la Méditerranée, l'Italie, puis la France... C'est là-bas à Calais que le rendez-vous est fixé. Ils finiront bien par se retrouver.
Parvenu à Calais, Adam recherche désespérément Nora et Maya. Il découvre l'enfer de la Jungle.
Mais ses pas l'amènent à rencontrer quelques personnages inoubliables : Ousmane, chef de la communauté soudanaise du lieu, avec lequel il se lie d'amitié et un enfant, sans doute soudanais aussi, enfant meurtri, muet qu'il nomme Kilani puisqu'il ne peut pas dire son nom.
Et puis il y a Bastien, nouveau lieutenant de la brigade de sûreté urbaine de Calais. Venu de Bordeaux, ce jeune policier a demandé sa mutation à Calais, pour des raisons familiales et sachant aussi ce qui l'attendait là-bas, avec quelques idéaux liés à la fonction, pensant qu'il trouvera en la police une manière de défendre les valeurs républicaines dans lesquelles il croit farouchement. Laissons-lui encore en ce début de roman ses illusions.
Les chemins de Bastien et d'Adam vont se rencontrer.
Bastien a une femme, Marion, dépressive depuis la mort de son père et une fille très délurée, Jade. Plus tard, les chemins des personnages de ce livre et leurs histoires vont se croiser, aidant par ailleurs Marion à sortir de sa torpeur.
Le roman nous éclaire, ne cherche pas à donner de leçons, ne veut pas prendre forcément parti sauf peut-être parti pour la cause des plus fragiles, celles des enfants, la cause de ceux qui ont mal, sont meurtris, ont dû fuir des pays en guerre où ils étaient nés, avaient grandi, avait aimé, fuir les leurs, fuir leurs maisons, leurs biens, oublier après eux leurs affaires même les plus ordinaires.
Peut-être prendre parti aussi pour ceux qui ne comprennent pas, ne comprennent plus, ceux qui sont impuissants à agir, ici ou là.
La Jungle : on apprend que ce sont les migrants iraniens qui ont donné ce nom. Quand ils sont arrivés sur place au tout début, ils ont vu un morceau de forêt, alors ils l'ont appelé ainsi, Jangal, en langue perse.
Nous découvrons une zone de non-droit où la police demeure à la périphérie, n'y entre pas sauf en infiltrant des personnes au travers du réseau des propres migrants voire des associations humanitaires.
Le récit se situe quelques temps avant son démantèlement.
J'ai trouvé que l'auteur a l'intelligence de se placer aux différents points de vue que suscite ce lieu : celui de la police tout d'abord, puis des migrants, des bénévoles humanitaires aussi, et enfin des habitants excédés ou solidaires. Sa vision se veut objective, éclairée, le constat est effroyable.
L'intrigue policière est davantage prétexte à présenter l'organisation du lieu, sa sociologie, les clans, les rivalités, les enjeux. Ainsi le lieu est tenu par les Afghans, majoritaires. Ce sont eux qui organisent le passage vers l'Angleterre. Il y aussi les Albanais passeurs historiques, puis les Libyens qui cherchent à poser de plus en plus leur marque sur ce territoire.
Les femmes sont retranchées dans un autre camp à l'autre bout de la Jungle, leur lieu est protégé par les organisations humanitaires.
Dans cette ville d'environ dix milles habitants, il y a même une rue qui s'appelle Les Champs Élysées, où tout s'achète, mais vraiment tout...
Il ne fait pas bon être un enfant dans ce lieu épouvantable.
De temps en temps, une longue plainte presque animale déchire la nuit de cette Jungle.
C'est un endroit où les enfants sont des proies, ne restent pas longtemps des enfants. D'ailleurs, lorsqu'ils arrivent ici, lorsqu'ils ont déjà vécu tout ce qu'ils ont vécu, sont-ils encore des enfants ?
Les enfants de la Jungle font des cauchemars. Ils n'ont pas besoin d'imaginer un quelconque monstre fictif tapi sous le lit. Ici les monstres sont bien réels et sont à portée de mains. Ou plutôt ce sont les enfants qui sont à portée de leurs mains.
C'est un récit parfois d'une violence insurmontable et l'auteur nous le montre de manière palpable. Elle fait partie du quotidien. Nous voyons un mal qui s'insinue partout. Viennent alors en nous la colère et les larmes...
C'est un livre sombre, âpre, pessimiste. De temps à autre, une humanité sans doute portée par les dernières illusions de quelques uns des personnages, apparaît comme des rais de lumière perçant les nuages. Cette humanité, elle est aussi dans ce qui tient ce livre. Nous sentons l'humanité dans le geste de l'auteur, dans son itinéraire, dans ces pages que nous tournons en même temps que lui, il nous accompagne pour nous montrer ce qui est, et peut-être là où s'entrevoit la lumière aussi, l'espoir.
Ce livre, que j'ai trouvé magnifique, bouscule. Il nous appelle dans notre intimité. Il m'a dérangé, mais dans le bon sens, j'ai été particulièrement sensible à la cause des enfants qui est posée dans le récit de manière poignante et c'est pour cela que je l'ai aimé aussi.
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