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Critique de Lucilou


Je referme à peine "Entre deux mondes" et le silence de mon appartement est assourdissant. J'ai envie de vomir, de hurler, mais je n'y arrive pas. Je crois bien que je vais pleurer. Je suis sonnée, exténuée. Putain de bouquin!
Je ne lirai plus jamais "Entre deux mondes", enfin je crois.
Je l'ai adoré pourtant.

L'entre deux monde, c'est la jungle de Calais, là où échouent des milliers de migrants, victimes d'une humanité à la dérive, qui ont tout perdu et qui ont traversé l'enfer pour le rêve -vite évanoui et souvent mortel- d'un avenir meilleur, loin des guerres, du sang et de la barbarie.
Calais, dernière escale avant la terre promise et l'espoir qui finit par mourir, après la tentative de trop, un matin gris et poisseux et la jungle qui finit par engloutir ses habitants. Nouvelle prison, enfer nouveau.

Adam est syrien. Parce qu'il se battait du côté des rebelles et qu'il mettait leurs vies en danger, il a dû laisser sa femme et sa fille affronter seules le voyage vers l'Europe, l'enfer des passeurs et du bateau, en attendant de pouvoir les rejoindre enfin, la peur au ventre. Il pensait si fort qu'il les retrouverait lors de son arrivée au camp, mais elles ne sont pas là. Adam est sûr pourtant qu'il les retrouvera et il les cherche, il s'abrutit d'espoir comme d'autres s'abrutissent d'herbe et de colère. Il n'abandonnera pas: après tout, une partie de lui est resté avec les femmes de sa vie et si son coeur bat toujours, c'est qu'elles ne sont pas si loin.
Kilani, lui, n'est qu'un enfant qui ne peut plus parler. Un gamin livré à lui-même et à la folie des hommes qui ne demande rien, ou si peu: quelqu'un à aimer et à qui s'attacher pour ne pas mourir une fois de plus, pour ne pas être englouti à son tour par la solitude et le noir.
Entre l'homme et l'enfant va naître une relation quasi-filial, pétrie de silences et de tendresse, leur dernier rempart d'humanité, d'amour même, contre un monde qui s'enfonce chaque jour un peu plus.
Quand des meurtres sont commis dans la jungle, Adam et Kilani vont croiser la route de Bastien, jeune flic fraîchement débarqué à Calais dont toutes les certitudes vont vaciller.

Olivier Norek signe avec "Entre deux mondes" un roman dérangeant et cruel, percutant et bouleversant d'une noirceur absolue. Il y dépeint sans complaisance la violence de la question des migrants et les paradoxes de nos sociétés bien-pensantes qui disent beaucoup sans faire grand chose, l'humanité mise en échec et les silences assourdissants des plus grands. Pour ce faire, des personnages, attachants, bouleversants dont il dépeint les trajectoires personnelles en un souffle jusqu'au point de non-retour dans une langue fluide et efficace, tendue et précise, cadencée comme un coeur battant.
C'est addictif, haletant; ça fait mal, ça tord le bide, ça poignarde, ça ouvre les yeux aussi sur ce qu'on fait semblant de ne pas voir, sur ce qu'on ne veut surtout pas savoir parce que ça dérangerait notre petit confort moelleux, parce que ça ferait tâche sur le tableau qu'on se fait de nos vies et de nos idéaux.
C'est noir, très noir. C'est presque sans espoir.
Presque, parce qu'il y aussi dans "Entre deux mondes" toute la lumière de l'humanité qui résiste et une très grande sensibilité, à fleur de peau plus qu'à fleur de page qui confère à ce roman sa beauté fragile, cristalline.
Comme le rire d'un enfant qui s'enfonce dans un fauteuil-pouf pour la toute première fois.
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