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Critique de Lune


Lune
08 février 2011
Merci à Babélio et à la jeune Maison d'Edition Des Deux Terres (2003) de m'avoir donné l'opportunité de découvrir la première enquête de l'inspecteur Cooper dû à la plume de Malla Nunn.


Nous sommes loin des brumes londoniennes de Holmes et Watson, loin du high-tea des policiers victoriens, loin du boulevard Richard Lenoir où flotte toujours l'ombre de Maigret, nous sommes bien dans "d'autres terres". Et c'est ce qui rend ce policier particulier, intéressant et interpellant. Car au-delà d'une simple enquête policière exaltante, c'est l'Histoire d'un pays, d'une nature, d'habitudes, de moeurs, de morale, de catégories sociales qui nous claquent au visage.

1952, Afrique du Sud, le veldt, un corps, pas n'importe lequel : celui du capitaine Pretorius, un blanc, un afrikaner. C'est toute l'horreur de la ségrégation sociale qui s'élève au faîte de la violence la plus vile. Les blancs (opposition entre anglais et hollandais), les métis (à qui la partie de sang noir empêche pleinement leur reconnaissance...) et les noirs (qui, selon les lois de l'apartheid, spirituellement ne sont pas des êtres humains à part entière), tout ce monde se côtoie, s'évite, se méprise, se hait. La vie n'a pas le même prix selon que l'on soit blanc, sang mêlé ou zoulou.

Un inspecteur-chef de Jo'burg, Emmanuel Cooper, chargé de l'enquête, devra tirer "prudemment" tous ces fils, comprendre les non-dits, dominer ses répulsions pour arriver à démêler l'écheveau. Par le cafre, on le suit d'une communauté à l'autre, on comprend son respect et sa méfiance. le plus terrible est encore cette loi sur l'immoralité (qui transforme la réelle immoralité en quelque chose d'inexistant), la chasse au communiste, la rivalité et la cruauté de la "Security Branch" qui pourrit le pays au nom d'une société sans morale : l'homme dans toute sa splendeur bestiale... Chez les Boers, la religion offre une fois de plus une dimension proche de l'exaltation démente qui fait perdre leurs repères aux faibles d'esprit (la mère - le jeune fils Pretorius). Tous les actes répréhensibles commis viennent des interdits : victimes (le père - le fils - l'anglais King) et Victimes (Davida...). Les personnages qui entourent l'inspecteur sont aussi marqués par ce lien de dépendance que représentent leur attachement au maître et le cheminement qu'ils devront accomplir pour accepter les faits. L'ombre des années de guerre 1940-1945 sont continuellement présentes dans les "maux de tête" de l'inspecteur revenu au pays qu'il aime : d'une souffrance à une autre. La présence de Zweigman (le docteur juif à l'épouse apeurée) reste mystérieuse mais évocatrice d'autres maux.

Le livre emmène de page en page dans un univers étouffant, violent, d'une densité psychologique qui remue, d'une réalité sociologique effarante (tenter de s'en sortir par des études pour une métisse est impossible, se faire passer pour blanc et renoncer à son identité...). le souffle qui entraîne ne laisse aucun répit à la flânerie, il assène les vérités que nous "digérons" mal mais c'est ainsi, on ne peut réécrire L Histoire. Nous faire comprendre ce pays est une gageure réussie. Plus que l'écriture d'un policier, l'auteur campe une Afrique du Sud de 1952 dans tout ce qu'elle avait de... je cite une de ses phrases : "le sommet de la pyramide du mal". L'extrême fin du roman laisse une porte ouverte à un certain espoir qui pourrait ne pas être utopique... L'enquête policière est tout à fait crédible, on la suit et on commence à deviner qui est le coupable lorsque Cooper lui-même y parvient.

Malla Nunn est "aussi cinéaste et a trois films à son actif", cela se ressent : l' écriture alerte racontant lieux, personnages et dialogues rendent la lecture très visuelle.

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