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Critique de Eve-Yeshe


On fait la connaissance d'Esme à l'intérieur d'un hôpital psychiatrique. Elle est assise dans la salle commune et essaie d'échapper à ce qui se passe autour d'elle en se concentrant sur un souvenir d'autrefois : deux jeunes filles à un bal, l'une est habillée d'une robe rouge qui ne lui va pas et a perdu ses gants : « c'est là que tout commence ».
D'autres images reviennent par bribes. Il suffit qu'elle se concentre sur sa respiration.
Puis une jeune femme, Iris, entre en scène. Elle tient une boutique de vêtements et vient de recevoir une lettre d'un établissement psychiatrique qui doit fermer ses portes. La lettre concerne une certaine Euphémia Lennox dont Iris n'a jamais entendu parler.
Iris décide de se rendre à l'établissement en question et apprend qu'Euphémia, qui préfère qu'on l'appelle Esme a été internée pour « troubles dépressifs » et qu'elle est ici depuis soixante ans et qu'elle est la soeur de sa grand-mère paternelle. Or personne : sa grand-mère, sa mère, son père ne lui a jamais parlé d'elle.
Le temps presse l'infirmier veut qu'Iris place sa grand-tante dans une maison de retraite avant la fermeture de l'établissement. Elle va passer un moment avec Esme et la trouve plutôt lucide, ce qui la laisse perplexe. le jour où Iris va chercher Esme pour la conduire à la maison de retraite, elle ne peut se résoudre à l'y laisser car elle est encore plus sordide. Iris ramène Esme dans son appartement qui était jadis la maison de sa grand-mère Kitty et que celle-ci a fait aménager en appartement.
Elle a le week-end pour tenter de trouver une solution, de discuter avec son demi-frère Alex. En entrant dans la maison, Edme reconnaît certaines choses, certaines pièces puisqu'elle y a vécu.
Les souvenirs vont remonter peu à peu, des liens se créer entre Iris et Esme, tandis qu'un troisième personnage entre en scène : la soeur d'Esme, Kitty qui est dans une maison de retraite pour patients souffrant d'Alzheimer.
Lorsqu'Esme est enfant, la famille vit en Inde, dans la bonne société colonialiste. Esme et Kitty, sa grande soeur jouent ensemble et semblent bien s'entendre. Puis un premier drame arrive, alors qu'elle est âgée de quatre ans environ, son petit frère tombe malade et un soir alors que tout le monde est sorti, Esme se lève, inquiète car il a de la fièvre.
Ses parents la trouveront à leur retour, prostrée, elle tient le bébé mort dans ses bras et le serre si fort qu'on a du mal à le lui arracher. La mère s'effondre, son fils est mort. Il sera désormais interdit de parler de cet enfant, or Esme est petite, elle a besoin de parler de son petit frère et on commence à la punir car elle enfreint la loi édictée par sa mère, et ne peut que se réfugier dans la rêverie.


Ce que j'en pense :

Ce roman est une véritable splendeur. L'histoire est magnifique car c'est celle d'Esme qui est le personnage central, enfermée pendant soixante ans dans un asile psychiatrique pour que sa famille ne la voie plus à tel point qu'elle finit par oublier son existence.
Esme est différente depuis l'enfance et cela dérange tout le monde. Elle est plus sensible que les autres, donc elle a besoin de s'exprimer et elle dérange la famille bourgeoise type de l'époque.
A la mort de son petit frère, en interdisant d'en parler, on nie sa souffrance pour protéger sa mère, tuant son innocence, sa spontanéité. Puis la famille décide de rentrer en Ecosse car c'est devenu trop difficile de vivre en Inde après ce drame. Bien sûr, le climat n'est plus le même, l'Ecosse c'est la pluie, les vêtements chauds, les manteaux et c'est aussi l'entrée en scène de la grand-mère maternelle d'Esme, le parfait tableau de la mégère. Elle n'a qu'un seul but : que ses petites-filles trouvent un mari de préférence riche. On les habille en petites filles modèles qu'on exhibe, ce qui plaît beaucoup à Kitty bien sûr, mais qu'Esme juge ennuyeux et stupide.
Elle préfère les livres et voudrait continuer ses études mais cela déclenche un tollé : il est inadmissible qu'une fille travaille, elle doit tenir une maison, broder, recevoir…
L'histoire nous et amenée tout doucement, l'auteure liant les souvenirs qui reviennent à Esme avec les lieux qu'elle découvre : quand elle entre dans l'appartement d'Iris et reconnaît son ancienne maison, puis au bord de la plage où elle demande à Iris de l'emmener, il y a si longtemps qu'elle n'a pas vu la mer. Là aussi vont remonter des instants de la vie d'avant, des moments avec sa soeur qui cherche un mari à tout prix.
Au retour de la plage, aussi, alors qu'elle partage un moment en écoutant de la musique, Esme se souvient qu'elle jouait très bien du piano et comme elle a l'impression de déranger Iris, elle se concentre à nouveau pour faire remonter des moments d'autrefois.
Maggie O'Farrell entretient suspens et rebondissements en dévoilant peu à peu les souffrances endurées par Esme : le viol et ses conséquences (il faut lire le livre !!). En fait, à l'époque, on enfermait à l'asile les personnes qui ne respectaient pas les règles de la bienséance, il fallait peu de choses, alors quand une jeune femme sensible subit des traumatismes violents au lieu de l'écouter on l'enferme. L'auteure nous décrit de façon très percutante le monde de la psychiatrie de l'époque.
Maggie O'Farrell a bien étudié la personnalité de chacun de ses personnages , leur lâcheté, leurs bassesses, leurs méchancetés, comment une famille arrive à détruire une enfant au nom des valeurs de la bonne société, lui interdisant d'extérioriser sa peine, lui prenant tout ce qu'elle a, jusqu'à la dépouiller de sa propre identité, et pour finir l'oubliant durant plus de soixante ans dans un asile.
Et en racontant les deux époques en parallèle, elle permet de les comparer, et met en lumière le côté libéré des contraintes et des tabous de la génération actuelle par les personnages d'Iris et Alex, qui sont décomplexés et bien plus ouverts. On voit toute l'évolution de la société sur près d'un siècle.
Maggie O'FARRELL ne sombre jamais dans le pathos, elle reste toujours dans la sobriété et c'est ce qui fait de livre, inspiré de faits réels, un vrai bijou.
Une auteure qui a vraiment émergé il y a une dizaine d'années et qu'il faut continuer à suivre de près.
Note : 9,25/10

Lien : http://eveyeshe.canalblog.co..
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