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Critique de Osmanthe


Dès les premières pages de ce roman, tout l'univers familier de Yôkô Ogawa se met en place : la narratrice vit dans une école maternelle abandonnée, où tous les objets et le mobilier sont petits, à l'échelle des enfants, à tel point qu'elle a l'impression qu'elle-même s'est adaptée et a rapetissé, ou peut-être s'est-elle courbée. M. Baryton, l'ancien gardien du musée qui s'exprime en chantant, lui rend visite régulièrement, pour faire déchiffrer les lettres que lui envoie sa dulcinée depuis l'hôpital où elle est soignée pour une grave maladie…C'est que ces lettres sont écrites en caractères si minuscules que seule la narratrice peut les déchiffrer.

De temps à autre, quand souffle un petit vent d'ouest, les villageois montent sur la colline pour jouer chacun d'un minuscule instrument de musique qu'ils suspendent à leur lobe d'oreille, et replacent ensuite dans une petite boîte une fois le concert terminé. Un étrange concert, « de soi à soi », puisque chacun des musiciens ne peut entendre que la musique de son propre instrument, si petit. Ces instruments sont d'un genre très spécial, fabriqués à partir de dents, d'os, de cheveux…d'enfants morts, façonnés par M. Carie, l'ancien dentiste du village.

L'ensemble de bâtiments de la maternelle héberge aussi un auditorium, où trônent sur des étagères de grandes boîtes en verre, où les parents peuvent déposer des objets, en mémoire des enfants défunts, dont on dit que ces boîtes renferment l'âme…La cousine de la narratrice en est, ayant perdu son fils.

Et puis il y a l'ancienne responsable de la blanchisserie, qui en chemisier, s'évertue à faire des soleils autour d'une barre fixe, et avec une tétine dans la bouche, excusez du peu !

Mais aujourd'hui, un évènement rassemble les villageois : on va dynamiter l'ancienne maternité, où tous ou presque sont nés naguère.

Une nouvelle fois l'univers des sens, de l'étrangeté, morbide mais curieusement poétique sont à l'honneur dans ce roman publié en 2019 au Japon. le lecteur se demande bien dans quel monde cette diablesse de Yôkô l'a plongé, l'environnement paraît figé, comme après une catastrophe, le lierre et des lianes ont envahi les façades des constructions... L'auteure entretient un flou spatial et temporel, même si on est bien au Japon.

Par moments, je me suis surpris en sautes de concentration, l'intérêt s'étiole un peu, on ne voit pas tellement bien où l'auteure veut nous emmener, et puis on suit un personnage, puis un autre, puis un troisième dans leurs tâches et missions respectives, mais c'est un peu décousu.

Pourtant, l'ensemble reste touchant, notamment les balades assez mutiques rapprochant la narratrice de M. Baryton, Ogawa nous faisant ressentir les sentiments pudiques et demeurant non exprimés qui s'installent entre eux. Il en est de même des étranges concerts de soi à soi, où une sorte d'osmose naturelle s'installe entre les musiciens qui pourtant n'entendent pas la musique de leurs voisins. Ogawa est impitoyable, quand elle s'évertue à détruire subitement, dans un coup de vent venu de nulle part, cette belle harmonie.

La question qui taraude le lecteur est de savoir ce qu'il s'est passé, pour que cette école ait été abandonnée, en l'état, comme s'il avait fallu l'évacuer d'urgence. Et pourquoi ces enfants sont-ils morts, de quoi ? le phénomène a été localisé, l'apocalypse n'a pas touché le monde entier, puisque la nourriture reste abondante, et nos personnages, bien qu'étranges, restent bien vivants.

Le roman ne livrera pas véritablement les clés du mystère…à moins qu'il ne faille chercher une piste du côté des remerciements de dernière page et de la région du Tôhoku…ou peut-être aussi est-ce une alerte sur les effets de la dénatalité qui ne fera sans doute que s'aggraver…

En conclusion, un roman sans doute un demi-ton en dessous des plus grandes réussites de l'auteure, qui subit semble-t-il une légère baisse de régime depuis ses trois dernières publications en France. Mais il reste très honorable, et la lecture de cette grande dame de la littérature contemporaine demeure une expérience originale !
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