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Critique de KotolineBastacosi


Encore un essai à contre-courant de notre société, que nous a offert ce grand philosophe éprouvé par sa maladie, contre laquelle il s'est battu et sur quoi il a longuement ironisé.
Hélas l'auteur décédera peu de temps après.

Ruwen a bien analysé les différents comportements du corps médical, qui prend le plus souvent des allures de grand Manitou, contre lequel on ne peut dire grand chose. On montre patte blanche, on se soumet - ou l'on feint de se soumettre, on écoute les chansonnettes des uns et des autres. Traitement par-ci, tentatives par-là... Parfois les toubibs, sortes de Diafoirus purgonesques et sadiques laissent peu de place à une possible entente cordiale. Patients et curateurs ont emprunté le masque du comédien - et la pièce commence. Comique assuré si l'on a la pêche, drame total si on se borne à regarder le plat de résistance, peu ragoûtant.

Foin de dolorisme ! pour Ruwen Ogien, cette méduse à tête de merluche jaune qui vous empêchera d'avancer sans blessure jusqu'au rivage. La guerre est déclarée aux maximes toutes faites, aux idées reçues, à la philosophe ou psychologie "positive"... Vous souvenez-vous de l'abbé Bournisien, dans Madame Bovary, disant à Hippolyte en train de couver sa gangrène, qu'il faut qu'il se réjouisse de son épreuve, envoyée par le Seigneur ? Boris Cyrulnik se voit mal parti avec ses thèses sur la résilience ! Eh non ! ce qui nous assassine à petit feu, nous déchire, nous épouvante, cela ne nous rend pas plus forts, même si on n'en crève pas sous le coup ! On en a réchappé, mais, le plus souvent on est bien fatigué. Et on se serait bien passé de cette épreuve qui nous a coupés du monde, de la société, du travail, de la famille, de la dignité aussi.

Ruwen est ici moins coriace que dans certains de ses essais. On peut comprendre qu'il ne puisse pas vraiment exprimer tout le fond de sa pensée. Il est encore entre les mains et la dépendance du corps médical. S'il garde son esprit, vif, métaphorique, tout à fait conscient qu'il est dans une ample comédie médicale à "cent actes divers", néanmoins ces actes médicaux sont son épée de Damoclés et il doit se défendre et donner la réplique à ses curieux protagonistes, fort nombreux. Et la maladie est, elle aussi, une drôle d'actrice.

On ne se sent pas forcément héroïque, on n'a pas vraiment envie de faire risette ou de prendre une mine de circonstance, tantôt accablée, tantôt guillerette. En fait, on en a ras le bol. On n'a pas besoin d'en rajouter une couche. Si on a de l'humour, de la patience, du courage, si l'on a suffisamment de force ironique pour écrire un bouquin comme celui de Ogien, c'est déjà un exploit. le drame laisse ainsi la place à une comédie plaisante, vivante, qui dit toute l'absurdité de plusieurs siècles tressant une couronne....de lauriers au dolorisme, apanage des saints, des martyrs, bref de tous ceux qui ont eu besoin de se trouver affaiblis, voire aux portes de la mort ou de l'Enfer pour se rendre compte - parce qu'on le leur a dit - que, finalement, quand ils étaient bien portant, c'étaient tous des cruches !!

Je regretter que la maladie l'ait emporté. Nous restera à l'esprit comme consolation l'oeuvre de ce grand et très original philosophe, courageux et lucide, aux portes de la mort.
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