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Citations sur Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé (87)

(Les premières pages du livre)
Je n’ai pas connu mon père.
Ma mère et la sienne m’ont tenu éloigné de cet homme dont le sang coule pourtant dans le mien.
J’ai grandi sans phare, ni guide. Sans repère paternel.
Je n’ai jamais rien su.
De lui.
Avant ce jour d’octobre.
Et ce paquet, dans ma boîte aux lettres.
Un courrier, long.
Des cassettes, audio d’un autre temps.
Un disque, de jazz.
Une photo aussi.
Trait pour trait.
Troublante.

J’ai découvert que mon père était encore en vie.
Le jour de sa mort.
Ma mère m’avait toujours tout caché, de l’homme qui dort. Impassible. Là, sous mes yeux.
L’homme que j’accompagne, à sa dernière demeure.
L’homme dont nous escortons le cercueil aujourd’hui, ma fille et moi. Sentiment étrange, cette émotion qui m’étreint. Et ces oiseaux dans ma voix.
Je ne connais pas l’homme qu’on enterre, nous n’avons rien partagé, rien vécu ensemble, rien dont je me souvienne. Et pourtant.
Envie de pleurer.
Est-ce l’enfance qui remonte, et toutes les fois où j’ai rêvé qu’il revienne à la maison, rêvé d’avoir une famille comme les autres, une maman et un papa, même séparés, comme les autres. Les autres, ces gamins de l’école qui me traitaient de bâtard métis, café au lait sans famille.
Les autres. L’enfer c’est, parfois.
Envie de pleurer.
Est-ce parce que cet homme m’a manqué tout le temps au fond, parce que j’aurais aimé qu’il soit là, à chaque moment important, mon entrée au collège, mon décrochage du lycée, mon premier flirt, ma première rupture, ma première cuite, mon premier joint, mon premier cours de solfège, ma première fugue, mon premier concert, mon mariage, mon divorce, la naissance d’Indira.
Indira, qui me regarde.
On dirait qu’elle essaye de me dire qu’elle est là pour moi. Et qu’elle sera toujours là.
Petite fée dont la petite main frêle lovée dans la mienne m’aide à tenir debout. Elle me rassure, les rôles s’inversent. Je suis son père. Et l’homme qui dort, impassible, là sous nos yeux, est celui qu’elle aurait pu appeler Papy. Dans une autre vie.
Indira est née un soir d’automne.
Sa venue au monde a tout bouleversé en moi, tout.
De mon rapport aux choses, aux êtres.
Et depuis ce jour d’octobre, ce paquet dans ma boîte aux lettres, ce courrier long, ces cassettes audio d’un autre temps, ce disque de jazz, cette photo trait pour trait troublante, pas une semaine ne s’écoule sans que je ne lui écrive comme je m’écrirais à moi-même, un mot, une phrase, un message. Ces missives à ma fille sont aussi des adresses à l’enfant, l’enfant que j’ai été. Inconsolable.
Indira est née un soir d’automne.
Et je me suis remis au monde avec elle, en devenant père, papa parapluie paratonnerre paravent parasol, bouclier humain. Je suis devenu père et à partir de cet instant, j’ai senti naître en moi l’émoi du plus grand des grands soirs, et mille rêves et mille vœux, et mille feux et mille feuilles, de tendresse éternelle pour elle, ma fille, gamine joyeuse dont le rire aux éclats me porte et m’emporte loin des doutes et déroutes de l’homme que j’étais, avant.
Avant elle, avant nous.
Je n’étais rien, ou si peu.
Indira est née un soir d’automne.
Son grand-père, cet étranger, est mort à la même saison. Grise pluvieuse. J’ai composé pour elle Indira, et pour lui It’s Not so Hard to Say Goodbye (to a stranger)...
Mélodies bleues. Oraisons. Heureuse et funèbre.

Ainsi va, s’en va, la vie.
À l’amour ou à la mort.
Et parfois.
Entre les deux, à la mort de l’amour.
J’ai joué à l’enterrement, il pleuvait. Des cordes sur ciel d’acier. Et ma trompette a versé pluie elle aussi. Averse de notes indigo, impro blues pour saluer l’inconnu dont je portais le visage dans le mien. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais je n’ai pas réfléchi, pas hésité une minute avant d’accepter de prendre la parole lors des funérailles, enfin à condition de ne pas la prendre justement, pas à proprement parler, ma musique le ferait pour moi. Avant d’y être, je n’imaginais pas les larmes en dedans, toutes celles que je n’arrivais pas à laisser couler dehors, sûrement. It’s Not so Hard to Say Goodbye... est devenu un titre de mon répertoire, que je partage toujours avec la même émotion, en me sentant lentement pleuvoir à l’intérieur.
J’ai joué à l’enterrement, jouer n’est pas le juste verbe, mais il n’y en a pas d’autres, ah si je pourrais dire peut-être que j’ai parlé à l’âme de l’homme qui gisait là, lui exprimant tout ou presque de ce que je ressentais, de colère, d’incompréhension, d’envie de savoir, d’émotions contraires, tout, en onze minutes et onze secondes entrecoupées de silence et de notes libres comme le jazz, qu’il aimait manifestement, le jazz, dans lequel je suis tombé radicalement une nuit de lune pleine dans un vieux club désuet de Harlem, Renaissance Bar, pendant un séjour avec mon amour d’alors au pays de Dizzie G. Le jazz, qui m’a fait et défait vivre, intense, fragile, révolté et free, comme les solos inachevés et désespérés qui sublimaient, disaient certains critiques, mon « je » musical, et me donnaient cette réputation qui collait à mes guêtres depuis que j’avais embrassé cette vie bohème avec mon souffle de «nègre à moitié».

« Nègre à moitié », c’est ainsi que m’appelait une partie de la famille de ma mère qui ne s’était jamais remise que leur fille, bien sous tous rapports, ait osé ramener un homme de couleur à la maison, alors qu’elle avait tant d’autres choix possibles. J’avais passé toute mon enfance à chercher où était ma place, broyé par la complexité d’avoir le cul entre deux chaises avant de comprendre, à Harlem, que je n’avais pas à choisir, et que je pouvais, comme le chantait un ami, m’asseoir par terre. J’avais vingt ans, et la musique dans le corps, même si à l’époque je l’ignorais encore.
J’avais vingt ans, et la musique.
Irriguait mon sang-mêlé.
J’avais vingt ans.
Et un sens incertain.
De la fuite en avant.
Déjà.

Indira

Je suis né père.
Dans ton regard.
Et ta petite voix.
Regard et voix.
D’enfant.
Être-ange,
À l’innocence fragile.
Qui m’enlève,
Mon droit légitime au désespoir.
Me relève,
Quand je tombe.
M’élève
Et me fonde.
Me pousse, à la fronde du monde.
Me meut et m’émeut, me fait.
Grandir
Chaque jour
En amour.

Indira

J’ai
Ta main
Dans la mienne
Et me reviennent
En mémoire
Du cœur
Mille souvenirs
Du futur
Mille sourires
À la vie qui bat des ailes
Dans tes jeux
D’enfant
Dans tes yeux
De fée
Le temps, labyrinthe réversible, est passé.

Trop vite.

Ma fille m’a sauvé la vie, au sens propre.
Victime d’une overdose, j’y serais resté, si Indira ne m’avait trouvé. Chez nous, dans le salon. Inerte ou presque, au sol. La voix de Billie H., soleil noir, résonnait dans la pièce, le premier vinyle que je m’étais acheté tournait en boucle sidérante tandis que j’agonisais, drapé dans l’émotion du chant de Lady Day, consumé par la came consommée jour et nuit. Je m’étais écroulé ce matin-là, après un shoot rapide que je pratiquais comme un sport, de combat contre la mort. Qui aurait sûrement remporté victoire, si ma princesse n’était pas sortie de son lit parce qu’elle avait soif, et que je ne répondais pas à ses appels.
Indira m’a sauvé la vie. Au sens propre.
En prenant ma main gauche dans la sienne droite, tandis que de l’autre, elle composait le numéro des urgences sur le téléphone de la maison comme sa mère le lui avait appris. Geste maintes et maintes fois répété, par une enfant appliquée. Geste juste, qui m’a sauvé la vie.
Au sens propre.
Et figuré.
J’ai arrêté les drogues dures, après ce jour de septembre où j’ai littéralement vu ma fille me regarder crever. Ma fille dont le visage d’ange m’était apparu si flou, si loin, au seuil de partir. Et pourtant ce visage m’avait tenu ou retenu, là en présence, je pense, avant l’arrivée des premiers secours. Sur la platine, la face B du disque Lady Sings the Blues, mirifique album.
Pour mourir. Ou revivre.
Près de moi ma jolie môme, qui allait perdre, définitivement, partie de son innocence d’enfant, ma jolie môme,
qui veillait depuis sur moi, petite maman.
Ma, fille.

Harlem Blues of Mine
Un saxophone pleure.
Et la voix de Langston H. déchire le vide, à la dérive mon esprit flotte, et mes souvenirs qui s’emballent, me replongent au nord de Manhattan, à Harlem, en ces temps immémoriaux où ce quartier foisonnant était considéré comme la « Mecque du renouveau noir », Harlem, berceau et foyer d’une effervescence artistique porteuse d’espérance pour la communauté afro-américaine, Harlem, ce nom raisonne et résonne en moi, Harlem, jazz, Harlem, blues, Harlem chante, Harlem danse, Harlem rit, Harlem vit, Harlem vibre, Harlem inspire, Harlem respire, Harlem expire, Harlem meurt, vive Harlem, Harlem est morte, avec Duke E., Art B., W.E.B D., Louis A., Marcus G., Alain L., Countee C., Claude M., Zora Neale H., Dorothy W., Mamie S., Count B., entre autres... Harlem est morte, vive Harlem, morte plus d’une fois, car il faut mourir, pour renaître, oui, la mort est condition fondamentale de toute renaissance, Harlem, dont le souffle créateur a traversé le temps et les continents, Harlem est au confluent d’un fleuve de pensées en offrande à qui veut entendre et comprendre, et à qui peut ressentir, que les mouvements nés à Harlem, intellectuels, militants et culturels, ne cherchaient et ne cherchent « rien d’autre en l’homme que l’homme », n’affirmaient et n’affirment qu’une chose : être nègre c’est être homme, ou femme, être homme et femme, être humain par naissance, humain par le sens, humain par reconnaissance, humain par résistance, humain par résilience, humain par existence brûlée à l’essence.
De vivre.

Bird s’envole.
Je bois black label.
Et tresse mes silences.
À la dérive mon esprit flotte, toujours.
Et mes souvenirs qui s’emballent.
Me replongent à Harlem...
J’ai vingt ans.
Et je dors alors.
Avec un corps de guitare.
Me demandant ce que je pourrais bien faire.
De ma vie.
Je m’en souviens, comme si c’était hier.
Harlem m’a donné réponses, à to
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Harlem est morte, vive Harlem, morte plus d'une fois, car il faut mourir, pour renaître, oui, la mort est condition fondamentale de toute renaissance
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Il ne s'agit pas, ou plus seulement de talent, mais de magie, de miracle. Oui le jazz est un miracle.
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Indira est née un soir d’automne.

Et je me suis remis au monde avec elle, en devenant père, papa parapluie paratonnerre paravent parasol, bouclier humain. Je suis devenu père et à partir de cet instant, j’ai senti naître en moi l’émoi du plus grand des grands soirs, et mille rêves et mille vœux, et mille feux et mille feuilles, de tendresse éternelle pour elle, ma fille, gamine joyeuse dont le rire aux éclats me porte et m’emporte loin des doutes et déroutes de l’homme que j’étais, avant.

Avant elle, avant nous.

Je n’étais rien, ou si peu.

Indira est née un soir d’automne.
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Indira, qui me regarde.

On dirait qu’elle essaye de me dire qu’elle est là pour moi. Et qu’elle sera toujours là.

Petite fée dont la petite main frêle lovée dans la mienne m’aide à tenir debout. Elle me rassure, les rôles s’inversent. Je suis son père. Et l’homme qui dort, impassible, là sous nos yeux, est celui qu’elle aurait pu appeler Papy. Dans une autre vie.

Indira est née un soir d’automne.

Sa venue au monde a tout bouleversé en moi, tout.

De mon rapport aux choses, aux êtres.
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Pour mourir. Ou revivre.
Près de moi ma jolie môme, qui allait perdre, définitivement, partie de son innocence d’enfant, ma jolie môme, qui veillait depuis sur moi, petite maman.
Ma, fille.
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Je n’ai pas connu mon père.
Ma mère et la sienne m’ont tenu éloigné de cet homme dont le sang coule pourtant dans le mien.
J’ai grandi sans phare, ni guide. Sans repère paternel.
Je n’ai jamais rien su.
De lui.
Avant ce jour d’octobre.
Et ce paquet, dans ma boîte aux lettres.
Un courrier, long.
Des cassettes, audio d’un autre temps.
Un disque, de jazz.
Une photo aussi.
Trait pour trait.
Troublante.
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